Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces mélanges de froide féerie blanche, de scolastique et de remords.

Quelques années plus tard, un tout petit nombre d’années, M. Méridier prit, un beau jour, avec sa canne, une paire de vieux gants de peau brune. Ils sentaient l’armoire et la benzine. Ils parurent à Augustin extrêmement soignés et solennels. M. Méridier avait un air tout spécial, qui s’adaptait à ces préparatifs et protestait contre eux à la fois. Il semblait se railler et s’intimider lui-même. Il présentait à ses habitudes quotidiennes et à celles des siens une sorte d’excuse pour ces gants intrus.

Soudain il demanda :

— Est-ce que tu veux venir, Augustin ?

Comme si, puisqu’il faisait tant que de se permettre aujourd’hui une chose extraordinaire, il pouvait bien en joindre une autre et les envoyer dans la vie toutes les deux, du même élan.

On prit la grande rue jusqu’à la place de l’Abbatiale. Elle longeait la façade nord, contournait le chevet et se continuait par une autre, au pavé fort pointu, portant le nom raclant, hargneux et magnifique de rue aux Prémontrés. Elle était, de plus, humide et solitaire. Ils s’y trouvaient les seuls passants. Elle menait à une placette singulière, bordée de maisons froides et sans magasins, que son papa appelait des hôtels. Quelques-unes, tout en pierre taillée dans le basalte du pays, protégeaient par des grilles leurs fenêtres de rez-de-chaussée. Graves et massives, elles portaient en elles une longue habitude de hardiesse et de force qui poussait leurs façades sur la place même, bien au-delà de l’alignement où leurs récentes voisines étaient forcées de se confiner. Au point de contact s’enfonçaient des retraits, barrés de tôles rouillées, qui coupaient en angle les trottoirs. Tout au milieu de la place, sur une fontaine octogonale, se penchaient des personnages mous-