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II

LES PLUS HEUREUX JOURS


Augustin ignorait ce pays nouveau, n’ayant jamais voyagé qu’entre sa ville d’université et le Cantal. On traversait des gares de triage ; des deux côtés de la quadruple voie, des paysages au type inconnu glissaient sur les plans de l’air. Projections avancées de très grandes villes, usines, maisons ouvrières, noirs envers de demeures, courettes hideuses où séchaient des linges, carrefours au vif éclairage, cantonnés de cafés, telles étaient ces formes de géographie humaine, très différentes des formes familières. La vie y apparaissait, au premier regard, brutale, morne et gaie, autant qu’on pouvait l’explorer au galop d’un rapide.

Plein de la saleté des fins de voyage, le compartiment de troisième classe bruissait d’excitation lassée. Un terne reste de jour, de sombres volumes de brume et la fixité filante des lampes à arc peuplaient ce crépuscule d’extrême septembre. Parfois l’express sifflait longuement.

Le bruit de la course changeait de timbre. Une vitesse frénétique perçait les gares ; des immobilités d’hommes et de malles volaient en sens inverse, avec des lettres en bleu qu’on n’avait pas le temps de changer en noms de villes, aussitôt rejetées derrière l’épaule, comme des noyaux de fruits mangés.

En face d’Augustin, son père, ayant fumé la dernière cigarette et jeté le papier jaune du scaferlati, étendait sous la banquette ses longues jambes, tandis que ses regards, traversant le plafond du wagon, fuyaient entre deux valises, vers le ciel crépusculaire, Dieu savait où. Ils se taisaient tous deux, s’étant dit tout ce qu’ils pouvaient se dire, et