Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/141

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il était, plein d’amusement, de moquerie légère, ou même aussi d’intérêt et de familiarité naissante, et peut-être encore de vagues choses ressemblant à des regrets sur elle-même. Ainsi, du moins, Augustin crut-il le soupçonner… Il se sentit, à sa stupeur, déborder d’une subite inondation de gratitude, d’asservissement, de ferveur et de joie, avec d’autres émotions inconnues. Il leur barra la route d’un rude, coup de frein, se criant à lui-même : « Assez ! » et qu’« il n’était pas fou ».

L’autre jeune femme resta en retrait, ne dit mot, sembla secondaire. Mme Desgrès des Sablons ne lui présenta pas les visiteurs.

M. Méridier demanda comment allait M. de Préfailles.

— Mais fort bien, je suppose. Mon frère commande son aviso dans quelque mer chinoise, ou cochinchinoise, ou japonaise, je ne sais. Nous ne savons. Voici sa fille. Petite Anne, voulez-vous donner la main à ces deux messieurs ?

Une délicate petite fille de huit à neuf ans, dont les beaux cheveux châtain blond descendaient en spirales, la seule qui fût restée grave parmi tous ces sourires, n’avait cessé de regarder les deux nouveaux venus de toute la profondeur de ses yeux purs. Elle leur offrit sa menotte d’enfant sans la moindre timidité.

Un jeune homme s’approcha, se tint debout près d’elles. Un peu plus âgé qu’Augustin, gras, immobile, maître de lui, il attendait qu’on le présentât, avec un sérieux froid qui simulait l’homme mûr. La belle main gantée se tendit vers eux.

— Au revoir, cher monsieur. Je vous abandonne à votre leçon. Mais comme vous seriez aimables tous les deux, de ne pas nous quitter avant le thé !…

Augustin reprit contact avec le réel bien avant la fin de la leçon, dans l’unique fauteuil de la chambre où l’élève de son père les avait conduits. Pendant que s’ânonnait un mot à mot de Tite-Live, lui, oublié, lisait La Bruyère dans une édition classique. Avec des manières très différentes de celles qui prévalaient sur le préau des « grands », le