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sont les premiers qu’il faut réciter. Il semble qu’ils cachent des arrières-sens raides et mystérieux, consolidés en petites nodosités insolubles. D’autres mots, qu’on comprend cependant, présentent un aspect cérémonieux et pincé qu’Augustin n’aime pas. Ainsi ce prétentieux « qu’est-ce que ? » au lieu du familier et bonasse « qu’est-ce que c’est ? », que tout le monde aime et connaît bien.

Le papa d’Augustin vient souvent, au cours de ces récitations, une serviette de livres sous le bras. Sa moustache est humide de café au lait. Des reflets bougent dans son lorgnon. Il s’assied et attend sans rien dire. On voit qu’il attend. L’enfant devine d’une manière à la fois obscure et aiguë qu’une autorité de qualité et de visée différentes se juxtapose à la première, celle d’où dépend le catéchisme. Et c’est le moment que choisit son autonomie pour affirmer avec une fermeté exagérante qu’il ne comprend pas le vilain mot, qu’il ne le comprendra jamais.

Alors, une petite expression de souffrance naît sur le visage de sa maman ; très petite et qu’il faut de bons yeux pour saisir. Il faut les laisser fixés sur ce tendre visage et non pas deviner, mais entendre en son propre cœur, les confidences d’un pli fugitif, dessiné au coin gauche des lèvres maternelles. Ce pli vous confie qu’elle ne grondera pas, contrairement à ce qu’elle ferait pour tout autre chose. Mais celle-ci ne regarde qu’elle-même et il suffit qu’on la voie souffrir.

Soudain, c’est une conscience non plus anesthésiée ni sourdement douloureuse, mais palpitante, mais saignante et à vif, qui jette Augustin au cou de sa mère ! Si, si ! oh ! si ! il comprend bien le vilain mot ! Il comprendra tous les vilains mots. « Tu verras ! Oh ! tu verras. » Elle recueille dans son cœur cette promesse et cette exaltation. Elle recueillera de même les autres promesses qui viendront après les autres fautes. Elle ressemble tout à fait au petit Jésus.

Bien des années après, Augustin s’aperçut que les premières chutes de neige suscitaient encore dans son souvenir