Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sous leur main, Dieu a daigné penser à lui de la manière la plus individuelle, au moment précis de son besoin. Comme Pascal, il a subi cet ajustement personnel des grâces dont sont pleines et comblées toutes les vies des saints, et celle même de l’auteur du Mystère.

« J’ai versé telle goutte de sang pour toi. »

Augustin est emporté sur les hautes mers. Ballotté, inerte, entre l’acceptation et la résistance, également loin des deux, fétu sur de grands flots, il se murmure à lui-même, tandis qu’il maintient sa tête hors de l’eau :

— Seigneur, mon Dieu, je ne pourrai pas !

Il pleure à sanglots bas, de regrets, de détresse et de la terreur de Dieu. Cœur que disputent deux combattants, il mesure en tremblant les forces respectives. Une sorte de sécurité abjecte grandit dans son désespoir.

En vain, la même voix sourde et impérieuse, qui a jeté dans l’existence le Temps et l’Univers, descend-elle à cet inconcevable aveu :

— Je t’aime… plus ardemment que tu n’as aimé tes souillures…

Entre elle et celui qu’elle poursuit, s’interpose un bouclier mou, fait de plat sens commun et de prudence humaine, qu’elle ne traversera pas.

Peut-être a-t-il pris, pour immédiat appel, une poussée d’exaltation née de la maladie… « Tes souillures »… sans doute, mais tes réalisations permises ? ton terrestre bonheur béni ?… « Je prendrai le temps de voir clair, le temps et l’aide… Il est des moyens légitimes, voulus de Dieu, mes propres réflexions, mes lectures, des conseils ; autant de critères de toute vocation possible. » Le mot de vocation l’épouvante encore. Il ne se rassure que parce qu’elle est loin. Ces phrases de défense et d’autres semblables sortent d’inépuisables réserves de sens pratique, de froideur et de raison.

L’attente ardente s’attiédit. L’appel relâche ses insistances. Il s’affaiblit moins qu’il ne se tourne vers ailleurs, comme s’il s’était trompé, qu’il cherchât quelque autre, à