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se sentir peu conforme au détachement qu’exprimait Pascal, et surtout sans désir de le devenir.

« … Je ne vous demande ni santé, ni maladie, ni vie, ni mort ; mais que vous disposiez de ma santé et de ma maladie, de ma vie et de ma mort… Je ne sais lequel m’est profitable… » Ces paroles mal ajustées à sa carrière, à sa position, à ses besoins, réservées aux âmes plus rapprochées des saints, peut-être ne définissaient-elles, pour les cœurs ordinaires, qu’un devoir d’admiration, de nostalgie et d’humilité ? Peut-être exigeaient-elles plus ? Il semblait à Augustin qu’il devait ne discuter rien, ne discriminer rien ; se contenter de subir cette force et cette amertume à travers une inondation de douceur et de repentir. La maladie rassemblait en un courant unique l’épars ruissellement de sa vie, prohibait les déversoirs secondaires, le rejetait aux pentes essentielles.

C’était, il ne se rappelait plus quel dimanche, la maison silencieuse, son père sorti il ne savait où, sa mère et ses sœurs parties pour quelque tâche dominicale. L’on semblait s’être entendu pour lui réserver une heure de solitude et de sommeil. Des airs de clairon sonnaient aigrement, très loin, pour quelque grosse fête populaire.

La « Prière pour les maladies » offrant parmi ses notes des références au mystère de Jésus, il s’y reporta. L’édition Brunschvicg présentait à cette page un fac-similé du manuscrit de Pascal, avec son papier sali, les traits entre les paragraphes, les grands S rigides, et tous les détails de l’écriture ardente. On croyait voir dans la demi-obscurité d’une chambre carrelée de rouge, chauffée aux bûches, meublée d’un lit à courtines, sa pâle main écrire près d’un rayonnage d’in-folios, puis s’interrompre pour soutenir son front.

Augustin entre dans le mystère de Jésus. Tout est ténèbres. Les mots si doux, si lourds, composent de graves phrases noir mat, à l’unique début : Jésus. Tout s’y dit à voix basse : chuchotement distinct et persistant d’un grand malade lucide qui règle tout avant sa mort.