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En somme, dans aucune de ces deux offres, la spéculation philosophique contemporaine ne pouvait proférer comme le grand féodal : « Qui je défends est maître. » Elle aidait singulièrement ceux qui possédaient déjà le sentiment de Dieu, leur fournissait le moyen d’unifier autour de ce concept-roi la totalité de leur pensée. À condition de le capter au préalable, et de le nourrir dans leur cœur.

Mais elle l’imposait difficilement à qui ne l’avait pas. Même, il n’était pas sûr qu’une sorte de pesanteur ne régît pas, comme les masses physiques, les fluidités dorées de l’intelligence, que sa tendance spontanée ne fût pas du côté mécaniste et irréligieux, comme s’il y avait là l’exercice d’une plus grande aisance et d’un moindre effort, peut-être une paresse, une belle descente vers des demeures ouvertes et de faciles séjours, tandis qu’il fallait, de l’autre côté, monter, suer et souffrir.

Or, pour le dur coup d’aile, M. Rubensohn, en définitive, aidait peu. De cet esprit riche, omniabsorbant, lucidement critique dans tous les cantons où sa sympathie le portait, on ne pouvait certainement pas dire que fussent absentes les métaphysiques de l’ascension. Mais ce n’était pas de leur côté que poussait sa pensée personnelle. Il les expliquait avec un pénétrant et défiant respect, comme si elles étaient surtout susceptibles d’attrait pieux et d’explorations poétiques. Il soulevait tout juste un coin du voile qui recouvrait le Saint des Saints.

Plus tard, tout à la fin de l’année, après les deux secousses morales qui agitèrent sa classe de philosophie, l’idée vint à Augustin que la pensée de son maître était encore sur ces points infixée, qu’il n’avait qu’un très faible désir et aucune hâte de la fixer, que les leçons de recherche lui semblaient, comme il le disait lui-même, plus précieuses que les leçons de dogme. Peut-être parce que ce sentiment de Dieu, très intime et préalable, qui doit orienter le labeur philosophique comme une cause à la fois finale et préexistante, précisément il ne le possédait pas.

— Qu’est-il au vrai fond de son âme ? vers quoi va-t-il ?