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débraillé, son sans-façons, ses coups de gueuloir, qu’aucune cloison n’arrêtait ni aucune circonstance.

Comme Augustin se demandait pourquoi la restriction du « si vous le voulez », le juron entra en lui presque en même temps que la question de M. Rubensohn. Le nom de Dieu figurait dans les deux. Un petit repère grotesque en fut associé à ces premiers jours. L’exposé continua, du même cours large et plein. Les sept ignorèrent la coïncidence autant que M. Rubensohn.

Il est bien connu, et d’ailleurs fort naturel, que le premier contact avec les abstractions philosophiques suscite chez les mieux doués des adolescents une manière d’ivresse divine. L’éloignement de tout repère touchable, une absence de limitation et de lisière, un ascétisme éblouissant, donnent une sensation d’alpinisme. Même volupté de l’altitude, même enivrement des cimes, et cette défaillance de joie devant les horizons accablants.

M. Rubensohn s’était mouché sans bruit, d’un mouchoir dont Marguillier remarqua aussitôt la finesse, l’absence de volume et l’enfouissement discret au creux de la manchette.

Marguillier rattacha ce détail à une série d’autres qui lui parurent de même ordre : le complet d’étoffe sombre et neuve, le pantalon coupé avec une précise justesse, les chaussures exactes, tout cet ensemble soigné, sobre et froid.

Incapable de retenir ses conclusions, il les confia tout bas à son poing arrondi en microphone, à portée de l’oreille d’Augustin.

— Doit avoir de la galette, ce type-là. Me demande ce qu’il faut ici.

Augustin rejeta cette intrusion comme un contact de mouche. Il était en pleine ferveur. Il avait reconnu, dès l’abord, dans cette exposition traditionnelle d’un programme de philosophie, l’équilibre et la solidité des beaux plans classiques. Mais la richesse de ce qui s’y insérait dépassait naturellement toutes ses expériences, le jetait en un émerveillement sacré.