Page:Maizeroy - Deux amies, 1885.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
198
LES PARISIENNES

Comme ces blasés qui ont besoin pour aimer de l’excitation des épices ou des gravures libertines, Mme de Tillenay s’était reprise à idolâtrer son ancienne amie, en suivant jour par jour l’intrigue ébauchée entre Eva et Mme Thiaucourt. Il lui semblait revivre en arrière, revoir la jeune fille au couvent de Saint-Joachim exigeant des serments, se tordant en des crises de larmes et plus tard l’emportant, le jour même de son mariage, la voulant à elle avant qu’elle appartint à un autre.

Jeanne ne s’y trompait pas. Elle connaissait trop bien ces fauves regards incendiés de désir, ces grands cernes de bistre qui la balafraient jusqu’aux pommettes, ce tremblement machinal des doigts et des lèvres et ces pâleurs de malade. La blessure était irrémédiable. Ce qu’elle s’était imaginé stupidement devoir être un passe-temps, un caprice qui s’en va comme il est venu, avait tout de suite été de l’amour vrai et grave.

Et Eva aimait à présent cette péronnelle adroite comme elle n’avait jamais aimé personne. Elle était fidèle et tenace, elle suppor-