mais l’état d’immobilité intellectuelle dont je veux parler est tout autre que celui dont ils jouissent et dont M. Necker a fait l’apologie[1]. Le mien est toujours volontaire et ne peut être que momentané. Pour en jouir dans toute sa plénitude, je fermai les yeux en m’appuyant des deux mains sur la fenêtre, comme un cavalier fatigué s’appuie sur le pommeau de sa selle et bientôt le souvenir du passé, le sentiment du présent et la prévoyance de l’avenir s’anéantirent dans mon âme.
Comme ce mode d’existence favorise puissamment l’invasion du sommeil, après une demi-minute de jouissance, je sentis que ma tête tombait sur ma poitrine. J’ouvris à l’instant les yeux, et mes idées reprirent leur cours : circonstance qui prouve évidemment que l’espèce de léthargie volontaire dont il s’agit est bien différente du sommeil, puisque je fus éveillé par le sommeil lui-même, accident qui n’est certainement jamais arrivé à personne.
En élevant mes regards vers le ciel, j’aperçus l’étoile polaire sur le faîte de la maison, ce qui me parut d’un bien bon augure au moment où j’allais entreprendre un long voyage. Pendant l’intervalle de repos dont je venais de jouir, mon imagination
- ↑ Sur le bonheur des sots. 1782, in-12. (Note de l’Auteur.)