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Pour excuser l’inexactitude de sa correspondance, voici le douloureux tableau qu’il trace de lui-même :

« C’est en vain que je voudrais vous le cacher et me le dissimuler à moi-même, je me sens devenir apathique et léthargique, malgré tous les efforts que je fais souvent pour me tenir éveillé. Dès que je suis seul, au lieu de penser à mes amis absents, je pense à ceux qui ne sont plus ; mon pauvre esprit, qui me racontait jadis mille balivernes dont j’aimais à vous faire part, ne me dit que de tristes souvenirs. Je me vois resté seul d’une nombreuse famille ; tous mes contemporains ont disparu ; je les ai vus sombrer l’un après l’autre dans cette mer sur laquelle ma barque fracassée surnage encore. Lorsque je repasse dans ma mémoire les événements passés, je cherche à me rappeler tant de visages bienveillants, ces sourires de sœurs, ces jours d’arrivée, ces chimères d’espérances pour un avenir qui n’existe plus que dans ma mémoire, alors je cherche autour de moi et je ne trouve plus personne à qui je puisse dire : Te souviens-tu ? Tous les échos de ma jeunesse sont muets, et je n’entends plus que le bruit imperceptible de ma vie, dont le reste tombe goutte à goutte dans l’éternité[1]. »

De retour en Russie après une longue absence, Xavier est perdu comme en un désert : tout est changé, c’est une nouvelle génération, un nouvel ordre de choses. Il ne se sent plus ni le temps ni le courage de recommencer, « vieil arbre à demi desséché, qui pousse encore quelques feuilles pâles, sans fleurs ni fruits, au milieu de la forêt verdoyante qui lui succède ». Perclus d’une partie de ses membres, réduit à « n’être qu’un estomac », il ne sort

  1. Naples, 1837.