Page:Maistre Xavier de - Oeuvres completes, 1880.djvu/104

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ma bibliothèque donc est composée de romans, puisqu’il faut vous le dire, — oui, de romans, et de quelques poëtes choisis.

Comme si je n’avais pas assez de mes maux, je partage encore volontairement ceux de mille personnages imaginaires, et je les sens aussi vivement que les miens : que de larmes n’ai-je pas versées pour cette malheureuse Clarisse[1] et pour l’amant de Charlotte[2] !

Mais si je cherche ainsi de feintes afflictions, je trouve, en revanche, dans ce monde imaginaire, la vertu, la bonté, le désintéressement, que je n’ai pas encore trouvés réunis dans le monde réel où j’existe. — J’y trouve une femme comme je la désire, sans humeur, sans légèreté, sans détour. Je ne dis rien de la beauté ; on peut s’en fier à mon imagination : je la fais si belle, qu’il n’y a rien à redire. Ensuite, fermant le livre qui ne répond plus à mes idées, je la prends par la main, et nous parcourons ensemble un pays mille fois plus délicieux que celui d’Éden. Quel peintre pourrait représenter le paysage enchanté où j’ai placé la divinité de mon cœur ? et quel poëte pourra jamais décrire les

  1. Clarisse Harlowe, roman de Richardson.
  2. Werther, roman de Gœthe.