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Tout doit céder dans l’univers
À l’auguste héros que J’aime[1].

La loi ne souffrant pas d’exception, le Pape s’y trouvait compris comme le prince d’Orange. Jamais roi de France ne fut aussi sincèrement attaché à la foi de ses pères, rien n’est plus certain ; mais ce qui ne l’est pas moins, c’est que jamais roi de France, depuis Philippe le Bel, n’a donné au Saint-Siège plus de chagrin que Louis XIV. Imagine-t-on rien d’aussi dur, d’aussi peu généreux, que la conduite de ce grand prince dans l’affaire des franchises ? Il n’y avait qu’un cri en Europe sur ce malheureux droit d’asile accordé à Rome aux hôtels des ambassadeurs. C’était, il faut l’avouer, un singulier titre pour les souverains catholiques que celui de protecteur des assassins. Le Pape enfin avait fait agréer à tous les autres princes l’abolition de cet étrange privilège. Louis XIV seul demeura sourd au cri de la raison et de la justice. Dès qu’il s’agissait de céder, il fallait, pour l’y contraindre, une bataille de Hochstedt que le Pape ne pouvait livrer. On sait avec quelle hauteur cette affaire fut conduite, et quelle recherche de cruauté humiliante on mit dans toutes les satisfactions qu’on exigea du Pape. Voltaire convient « que le duc de Créqui avait révolté les Romains par sa hauteur ; que ses laquais s’étaient avisés de charger la garde du Pape l’épée à la main ; que le parlement de Provence enfin avait fait citer le Pape, et saisir le comtat d’Avignon[2]. »

Il serait impossible d’imaginer un abus plus révoltant du pouvoir, une violation plus scandaleuse des droits les plus sacrés de la souveraineté. Et que dirons-nous surtout d’un tribunal civil qui, pour faire sa cour au prince, cite un souverain étranger, chef de l’Église catholique, et séquestre une de ses provinces ? Je ne crois pas que, dans les immenses annales de la servitude et de la déraison, on trouve rien d’aussi

  1. Prologue d’Armide.
  2. Siècle de Louis XIV, tom. I, chap. vii.