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nisme, et le continua moins par sa féroce théologie, qu’en plantant dans l’État un germe démocratique, ennemi naturel de toute hiérarchie.

Pour faire équilibre à tant de maux, il faudrait beaucoup d’excellents livres et d’hommes célèbres ; mais Port-Royal n’a pas le moindre droit à cette honorable compensation. Nous venons d’entendre un écrivain qui, sentant bien à quel point cette école était pauvre en noms distingués, a pris le parti, pour en grossir la liste, d’y joindre ceux de quelques grands écrivains qui avaient étudié dans cette retraite. Ainsi, Racine, Despréaux et La Bruyère se trouvent inscrits avec Lancelot, Pont-Château, Augran, etc., au nombre des écrivains de Port-Royal, et sans aucune distinction[1]. L’artifice est ingénieux sans doute ; et ce qui doit paraître bien singulier, c’est d’entendre La Harpe mettre en avant ce même sophisme, et nous dire dans son Cours de Littérature, à la fin d’un magnifique éloge de Port-Royal : Enfin, c’est de leur école que sont sortis Pascal et Racine.

Celui qui dirait que le grand Condé apprit chez les jésuites à gagner la bataille de Senef, serait tout aussi philosophe que La Harpe l’est dans cette occasion. Le génie ne sort d’aucune école ; il ne s’acquiert nulle part et se développe partout ; comme il ne reconnaît point de maître, il ne doit remercier que la Providence.

Ceux qui présentent ces grands hommes comme des productions de Port-Royal, se doutent peu qu’ils lui font un tort mortel aux yeux des hommes clairvoyants : on ne lui cherche de grands noms que parce qu’il en manque. Quel ami des jésuites a jamais imaginé de dire, pour exalter ces Pères : Et pour tout dire en un mot, c’est de leur école que sont sortis Descartes, Bossuet et le prince de Condé[2]. Les partisans de la société

  1. Vid. sup. pag. 106.
  2. Condé aimait beaucoup les jésuites : il leur confia son fils et leur légua son cœur en mourant. Il honorait surtout d’une amitié particulière l’illustre Bourdaloue, qui n’était pas médiocrement inquiet des irrésolutions du prince sur l’article important de la foi. Un Jour que ce grand orateur prêchait devant lui, entraîné tout à coup par un mouvement intérieur, il pria publiquement pour son auguste ami, demandant à Dieu qu’il lui plût de mettre fin aux ba]ancements de ce grand cœur et de s’en emparer pour toujours. Bourdaloue parla bien puisqu’il ne déplut pas ; et plusieurs années après, prêchant l’oraison funèbre de ce même prince et dans la même chaire, il remercia Dieu publiquement de l’avoir exaucé. Il me semble que cette anecdote intéressante n’est pas assez connue (Voyez l’Oraison funèbre du grand Condé, par le P. Bourdaloue, IIe partie vers la fin).