Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1845, V.djvu/421

Cette page n’a pas encore été corrigée
409
COUP D’ŒIL SUR LE JARDINAGE EN EUROPE.


l’homme, est né primitivement là où de nombreuses populations industrielles offraient à ses produits des débouchés avantageux et certains. L’an d’embellir les sites naturellement pittoresques ou de les créer au besoin, a pris naissance là où des fortunes colossales mettaient à la disposition de leurs possesseurs de vastes terrains à orner et des sommes illimitées à dépenser. La culture spéciale des plantes d’ornement a dû naître avec le goût des fleurs partout où l’opulence manquant, comme en Hollande, d’espace pour créer des parcs, a dû se contenter d’une serre et d’un parterre. Le génie de chaque peuple imprime à chacune de ces créations diverses un cachet particulier : l’orgueil anglais, la patience hollandaise, l’activité belge, le goût français, la paresse espagnole, ont leur reflet dans les jardins.

L’antiquité n’a rien légué au jardinage des peuples modernes ; les parcs immenses qui couvraient et affamaient l’Italie du temps des empereurs ne sont pas connus ; à peine les fouilles récentes dans les ruines de Pompéï et d’Herculanum ont-elles fait entrevoir dans ces derniers temps ce que pouvaient être les parterres joints aux habitations bourgeoises d’une petite ville romaine sous Vespasien. De longs siècles de dévastations avaient passé sur tout cela quand les moines créèrent autour des monastères les premiers jardins. Plus tard, les républiques municipales en Italie, en Allemagne, en Flandre surtout, avec leurs populations compactes d’ouvriers, et leurs puissantes fortunes commerciales, appelèrent autour des grandes cités l’industrie du jardinage, et créèrent l’art des jardins. Nous retrouverons les traces de cette marche liée à la nature des choses, dans notre excursion rapide, pour considérer comme à vol d’oiseau les jardins des divers peuples, et en l’aire connaître les traits essentiels.


HOLLANDE et BELGIQUE.

Nous ne commençons point par la France ; la priorité appartient’de droit au pays où l’art du jardinage est porté à son plus haut degré de perfection. Le jardinage, dont il n’entre pas dans notre plan de tracer ici l’historique, est un art tout moderne. On connaît la date précise de l’envoi en France dis premières graines de laitues, vers le commencement du seizième siècle ; nos salades actuelles peuvent être considérées comme la postérité de ces laitues ; presque tous nos légumes un peu recherches ne sont pas plus anciens ; sous Charles IX, le chanoine Charron, auteur du livre de la sagesse, les regardait tous comme des objets de luxe, hors le chou et la rave^ productions gauloises ; on sait qu’il résumait la sagesse humaine dans ces deux monosyllables : paix et peu ; il avait adopté pour armoiries le navet, comme symbole de la frugalité.

La Hollande, avant la grande révolution qui la constitua en république indépendante, au seizième siècle, avait peu de jardins ; son sol marécageux, alors presque dépourvu de grandes villes, semblait peu propre à l’horticulture ; la Belgique était au contraire comme un vaste jardin plus de deux siècles auparavant ; le goût du jardinage y était général avant même que toutes ses provinces ne se trouvassent réunies sous le sceptre de la puissante maison de Bourgogne. Mais du moment où une grande partie de la population riche et éclairée de la Belgique, fuyant le joug de l’Espagne et les persécutions religieuses, se fut réfugiée en Hollande avec d’énormes capitaux, les moindres bourgades de ce pays devinrent des villes importantes ; les besoins de toutes ces populations urbaines, plus nombreuses de beaucoup que les populations rurales, et fort en état, grâce au commerce, de bien payer les travaux du jardinier, firent prendre au jardinage un très grand développement. Plus tard, toutes les contrées de l’ancien et du nouveau continent où les Hollandais entretenaient des relations de commerce, devinrent, ainsi que leurs nombreuses colonies, tributaires des jardins de la Hollande, qui en reçurent une foule de végétaux exotiques répandus aujourd’hui dans toute l’Europe. Il était naturel que, sous l’empire de ces circonstances, la Hollande devînt la terre classique du jardinage. On nomme encore les pois, les choufleurs, les haricots nains, et une foule d’autres légumes des variétés les plus recherchées, légumes de Hollande, ce pays étant celui de tous où leur culture a été portée au plus haut point de perfection. Ces légumes étaient presque tous venus de Belgique en Hollande. En Belgique de même qu’en Hollande, un sol fertile, un climat constamment humide, des grandes villes les unes sur les autres, avaient, comme nous l’avons dit, donné lieu aux cultures jardinières les plus florissantes, bien avant l’existence de la Hollande comme état indépendant.

Considérons dans leur état présent les jardins de ces deux contrées naguère dépendances du grand empire, puis un moment réunies sous le sceptre de la maison de Nassau. Nous faisons choix pour donner un coup d’œil aux jardins de la Frise et de la Nord-Hollande, par où doit commencer notre excursion, d’un de ces rares beaux jours de la fin de mai où le soleil triomphe pendant quelques heures des brouillards constamment assis sur la Hollande pendant les trois quarts de l’année. Ici, le climat est si rude et l’hiver si long, que les habitants ne comptent pas au-delà de quarante beaux jours par an, constituant à la fois le printemps et l’été : c’est ce temps que les jardiniers nomment les six semaines aux légumes. Après avoir admiré l’art infini que mettent les jardiniers à triompher d’un riel si austère, nous donnons un coup d’œil aux belles serres et aux planches parfaitement tenues du jardin botanique de l’université de Groningue, nous consacrons une matinée au parc de la résidence royale du Loo, dont l’ensemble a conservé le style des jardins

horticulture.
T. V. — 31