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liv. viii.
ENGRAIS ET AMENDEMENTS.


ser dans ce but un engrais quel qu’il soit, et qu’on le jugera susceptible d’activer la végétation sans nuire à la qualité des produits.

§ X. — Engrais liquides.

On donne ce nom aux liquides très corrompus qui, comme le jus de fumier, par exemple, sont troublés par un mélange de matières animales en décomposition, et peuvent mettre ces matières en contact avec les racines des plantes au pied desquelles on les répand sous forme d’arrosage ; on connaît en agriculture, sous le nom de purin, l’engrais liquide provenant des tas de fumier d’étable ou d’écurie ; on l’utilise principalement pour la culture en grand des plantes textiles et tinctoriales ; l’expérience a prouvé que cet engrais répandu en trop grande quantité sur les prairies naturelles et artificielles donne aux fourrages une saveur désagréable, telle que le bétail répugne à les manger ; à plus forte raison devrait-on craindre un effet semblable dans la culture jardinière. Les plantes de parterre se trouveraient très bien de l’engrais liquide, quelques-unes prendraient même sous son influence un développement extraordinaire ; mais l’odeur infecte de cet engrais en interdit l’usage aussi bien dans le parterre que dans le potager. Le jardinier ne pourra s’en servir que lorsqu’il s’agira de hâter la décomposition d’une grande masse de substances végétales, pour se procurer promptement une abondante provision de terreau. Le purin le plus infect perdra dans cet emploi tous ses inconvénients ; le terreau végétal provenant de son action comme ferment ne conservera aucune odeur, et ne pourra communiquer aux végétaux aucune mauvaise qualité.

§ XI. — Terreau.

Le jardinier de profession, cultivant aux portes d’une grande ville, ne manque jamais de terreau ; les maraîchers des environs de Paris en sont souvent encombrés ; ils le vendent à bas prix aux fermiers qui le répandent sur leurs prairies. Il en sera de même partout où l’on suivra la culture artificielle par le moyen des couches dont le fumier, au bout de deux ans tout au plus, est réduit en terreau, et doit être renouvelé. Si l’on n’entretient qu’un trop petit nombre de couches, comme il arrive à tous ceux qui suivent principalement la culture naturelle, la disette de terreau se fera souvent sentir ; c’est une circonstance toujours fâcheuse, car le terreau est de tous les engrais le plus nécessaire dans un jardin, et le plus difficile à remplacer. Cette considération seule devrait engager tout horticulteur, jaloux de la bonne tenue de son jardin, à faire autant de couches que cela lui est possible ; mais dans beaucoup de départements le mot seul de couche effraie, et l’on recule devant la dépense.

Le meilleur terreau, celui qui réunit au plus haut degré les qualités propres à l’humus le plus riche, s’obtient en mettant à part les excréments des bêtes à cornes, sans mélange de litière, et en les laissant d’une année à l’autre achever lentement leur fermentation. On conçoit que ce terreau revenant à un prix élevé ne peut jamais être fort abondant. Chaque jardinier fera bien d’en avoir toujours une certaine quantité à sa disposition ; semées dans ce terreau, les plantes annuelles dont la fleur est susceptible de doubler donneront beaucoup de fleurs doubles ; les renoncules et les anémones s’y développeront dans toute leur beauté ; le plan de choufleurs y puisera une vigueur qui doublera le volume de ses produits.

Le terreau commun, produit de la décomposition complète des fumiers, n’offre pas de caractères qui permettent de reconnaître de quel genre de fumier il provient ; tous donnent un terreau à peu près homogène quand il n’y reste plus d’éléments de fermentation ; aussi, le terreau, quelle qu’en soit l’origine, se conserve-t-il indéfiniment, sans subir d’altération nouvelle. Les caractères du bon terreau de couches rompues sont d’être noir, doux au toucher et aussi égal dans toutes ses parties que s’il avait été passé à la claie ; il ne doit exhaler aucune mauvaise odeur ; aucun débris reconnaissable de matière végétale ne doit s’y rencontrer. Au reste, quand on achète du terreau, l’on n’a pas à craindre de falsifications, par la raison toute simple que tout ce qu’on pourrait y mêler pour l’altérer coûterait plus que le terreau lui-même.

C’est dans le terreau de couches rompues que les semis de toute espèce, destinés au repiquage, réussissent le mieux ; si le terrain est chaud et léger, il est bon de répandre une poignée de ce terreau dans chacun des trous ou potelots où l’on sème des pois, des haricots , ou d’autres plantes légumineuses ; le terreau ne convient pas comme engrais pour les terrains froids. Quelle que soit la destination des couches, elles doivent toujours être recouvertes de plusieurs centimètres de bon terreau.

On emploie aussi pour le jardinage le terreau purement végétal ; il provient le plus souvent des feuilles employées dans la construction des couches auxquelles elles procurent une chaleur plus constante et plus durable que celle du fumier. On prépare un terreau doué des mêmes propriétés, en entassant des végétaux frais qu’on arrose avec du jus de fumier ou purin. Il faut avoir soin d’ouvrir plusieurs fois le tas et de l’arroser pour le refaire immédiatement ; cette manipulation accélère la décomposition des matières végétales.

Les jardiniers qui cultivent dans les environs d’Amiens les terrains fertiles nommés hortillons, ont coutume de jeter dans un fossé à demi plein d’eau les feuilles et trognons de choux, et en général tous les débris végétaux provenant de l’habillage de leurs légumes. Ce fossé, dont on retourne le contenu de temps en temps, est curé chaque année à la fin de l’hiver ; on laisse les matières achever de se mûrir par l’effet des gelées et des dégels, et l’on obtient ainsi une bonne provision d’excellent terreau,