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titre iii.
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JARDIN FRUITIER.


mise à fruit ; si les racines ont clé bien préparées, leur végétation peut être à peu près livrée à elle-même. Nous avons vu comment ils veulent être conduits pour favoriser la formation de leur tête. Les pommiers et la plupart des poiriers forment leur tête naturellement ; le jardinier n’a besoin de s’en mêler que pour supprimer les bourgeons surabondants qui feraient confusion, et tenir toujours l’intérieur assez dégagé pour que l’air y puisse circuler librement. Les arbres à fruits à noyaux ne sont pas tous aussi dociles ; les cerisiers, particulièrement, ont besoin d’être aidés pour prendre une bonne forme ; s’ils ne sont dès l’origine conduits sur trois ou quatre branches tenues à distance convenable au moyen d’un petit cerceau, les cerisiers à fruit ferme, ayant leurs brancbes naturellement redressées, poussent en droite ligne une flèche peu garnie qui prend en peu d’années une élévation telle qu’il faut une échelle de couvreur pour aller chercher les cerises, au risque de se rompre le cou. Cet excès de vigueur, réparti entre trois ou quatre bonnes branches dont on favorise les ramifications, n’a pas d’inconvénient ; les arbres n’en sont que plus productifs.

Les Anglais, dans le but de faciliter l’entretien des arbres et la récolte du fruit, ne laissent jamais prendre aux poiriers de leurs vergers plus d’élévation qu’aux pommiers ; ils ont soin pour cela de former au jeune arbre cinq ou six branches d’égale force, entre lesquelles la sève se partage ; ces branches, placées dès l’origine dans des directions divergentes, ne prennent jamais une très grande élévation.

Tous les arbres du verger, quelle qu’en soit l’espèce, veulent être débarrassés soigneusement des drageons qu’ils rejettent du pied et des pousses qui percent le bois au-dessous de la greffe. Ces pousses, enlevées avant d’être passées à l’état ligneux, ne laissent pas de l"ace ; mais si l’arbre appartient à une espèce dont le bois est sujet à la gomme, et qu’on larde assez à enlever les pousses du sujet pour être forcé de recourir à l’emploi de la serpette tandis que l’arbre est en pleine sève, il en peut résulter un écoulement de gomme, et par suite une plaie très préjudiciable à l’arbre. Quand ces accidents ont lieu, c’est toujours par la faute du jardinier.

La meilleure manière d’utiliser le sol d’un verger, lorsque les arbres ont pris assez de force pour qu’il ne soit plus possible d’y continuer les cultures jardinières, c’est, comme nous l’avons dit, de le convertir en prairie naturelle. Il importe que cette prairie soit maintenue exempte de plantes à racines pivotantes ; la carotte sauvage, la centaurée, la chicorée, les patiences et toutes les espèces de chardons en doivent être soigneusement exclues ; toutes ces plantes, outre qu’elles nuisent à la qualité du fourrage, plongent dans le sol assez avant pour rencontrer les racines des arbres à fruit et leur disputer leur nourriture. On doit à cet effet imiter la sagacité des Belges et des Hollandais qui utilisent, pour nettoyer leurs prairies, l’instinct vorace du cochon. Les prairies arborées de la Belgique offrent des tapis d’un vert aussi uniforme que celui du boulingrin du parc le mieux tenu ; c’est qu’après y avoir fait paître les vaches, puis les moutons qui tondent l’herbe de très près, on y liche des porcs qu’on a laissé jeûner à dessein ; ceux-ci arrachent avec plus de .soin que le jardinier le plus attentif toutes les racines pivotantes, sans en laisser une seule.

La terre au pied des arbres ne doit recevoir que des binages superficiels, donnés avec des instruments à dents émoussées, pour ne pas blesser les racines. Quelques personnes sont encore dans l’usage de fumer de temps en temps le pied des arbres à fruit du verger parvenus à toute leur grosseur. Nous leur ferons observer, selon la remarque du professeur anglais Lindley, que c’est à peu près comme si elles prétendaient nourrir un homme en lui mettant des aliments sous la plante des pieds. L’arbre, on ne peut trop le répéter, ne se nourrit que par les extrémités de ses racines ; les racines n’ont point de spongioles près de leur insertion sur le tronc de l’arbre ; elles ne peuvent donc profiter du fumier qu’on enterre bons de la portée de leurs spongioles. Cependant, une couverture de fumier long, ou bien, à défaut de fumier, une couche épaisse de feuilles sèches ou de litière, est utile aux arbres fruitiers de tout âge, en hiver pour diminuer l’action du froid, et en été pour conserver à la terre un peu de fraîcheur. La véritable manière de fumer les arbres d’un verger, c’est de donner tous les deux ou trois ans à toute la prairie une bonne couverture de fumier à demi consommé ; l’eau des pluies, en délayant les parties solubles de l’engrais, les fera pénétrer dans le sol, et les racines des arbres en prendront leur part. Si l’on juge nécessaire de fumer un arbre fatigué par une production de fruits trop abondante, il faut enterrer le fumier, par un labour superficiel, dans un espace circulaire plus ou moins large en raison de la grosseur de l’arbre, en commençant à 1 mètre ou même à 1m50 de distance, à partir de sa base. Le fumier de porc, pourvu qu’il ait jeté son feu et qu’il ne soit plus en fermentation, est celui de tous qui refait le plus promptement les arbres fruitiers malades ou fatigués.

Lorsque les arbres du verger ont atteint seulement la moitié de leur grosseur, il faut pour les tailler, s’il en est besoin, en faire le tour au moyen d’une échelle double ; le plus souvent on se contente d’appuyer sur les plus fortes branches une échelle simple. De quelque façon qu’on s’y prenne, on détruit ainsi inévitablement beaucoup de productions fruitières, surtout dans les arbres à fruits à pépins dont les boutons à fruit sont placés sur des supports très fragiles. Il vaut beaucoup mieux, lorsqu’il ne s’agit que de supprimer des branches mortes, malades ou superflues, qu’il est facile de distinguer du pied de l’arbre, se servir de

horticulture.
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