Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1844, IV.djvu/219

Cette page n’a pas encore été corrigée

servoirs, nous amènent à des considérations auxquelles nous croyons devoir attacher de l’importance. Le poisson gras a autant de supériorté sur le poisson maigre, que la volaille grasse sur la volaille maigre ; en Bresse, l’engrais des volailles est une des sources notables de prospérité ; rien n’empêcherait que dans les pays d’élève de poisson on n’arrivât à un résultat analogue. L’engrais de la volaille demande beaucoup de main d’œuvre et une grande consommation de denrées ; celui du poisson en exigerait peu, parce qu’il se ferait en partie avec des rebuts, des débris laissés par les hommes et les animaux, des litières d’écurie, des grains cuits, des racines crues ou cuites. On jette au poisson placé dans des viviers cette nourriture, que l’on renouvelle selon les besoins.

.Ces réservoirs, vidés tous les deux ou trois ans, produisent en outre pour le domaine une assez grande masse d’engrais de très bonne qualité, qui se compose de tout ce que les poissons n’ont pas consommé dans les fumiers et débris qui leur ont été donnés pour nourriture. La fécondité naturelle de ces engrais s’accroît beaucoup par le séjour dans le vivier. Les déjections des poissons pioduisent une grande activité de végétation , puisque dans certains sols elles suffisent à la production de trois ou quatre récolles successives et abondantes sans autre en-L’engraissement du poisson est, il est vrai, bien nouveau pour nous, mais ailleurs il est connu et pratiqué avec succès ; il serait sans doute difficile qu’une preuiière impulsion parvint à le faire naître dans notre pays ; les améliorations ne marchent pas si vite, surtout celles qui ont pour objet une industrie agricole. Mais si nos recherches ne parviennent pas à l’y créer immédiatement, tout au moins pourrons-nous réussir à éveiller l’attention sur lui, à prouver qu’il est possible et offre même peu de difficultés ; les renseignements que nous consignons ici seront, en quelque sorte, une semence jetée pour faire éclore dans l’avenir l’industrie que nous proposons, et pourront plus tard faciliter son développement. Cet art, à peine connu aujourd’hui, existait déjà chez les anciens, dont les viviers nombreux étaient spécialement destinés à l’engrais des poissons. Tous leurs auteurs agronomiques, Caton, Varron, Columelle, Pline, Palladius, en parlent. Les détails qu’ils donnent ne sont pas, il est vrai, assez étendus pour en tirer d’importantes lumières ; mais ils sont la preuve que cet art, pratiqué dans des pays étendus, pouvait s’y exercer facilement , d’où nous devons tirer la conséquence que nous pourrions en recueillir des résultats analogues.

Au temps présent, cet art est sans doute assez peu avancé en Europe ; cependant partout on conserve et on entrelient le poisson pour la consommation ; il nous semble évident que de là à l’engraissement artificiel il n’y aurait qu’un pas de plus à faire. Et puis si, comme on le lit dans les écrits agronomiques, on fait des carpeaux en Angleterre, il en résulte que, maigris par l’opération, ces poissons doivent être, par un régime approprié, remis en état et engraissés.

Nous avions beaucoup oui parler des carpeaux du Rhin ; c’est un des mets particulièrement apjuéciés par les gastronomes parisiens. Sans prévention , il nous a semblé que la chair de la carpe du Rhin était sans comparaison très supérieure à celle des autres rivières, même à celle très vantée du Rhône. Nous avions pu croire aussi que les poissonniers de Strasbourg engraissaient et faisaient peut-être leurs carpeaux par la castration ; nous avons voulu voir ce qu’il en était sur les lieux, à Strasbourg même. Nous y avons trouvé cette industrie presque concentrée dans les mains d’un négociant très riche, dans la famille duquel elle se perpétue depuis longtemps ; il a eu la complaisance de nous faire voir ses réservoirs et ses plus beaux poissons. Il en a de toute grosseur, depuis 1 kilogramme jusqu’à 15 et même au-delà. Il les achète des pêcheurs, les renferme dans de grands réservoirs en chêne, placés dansTlnn, et qui sont criblés de trous. On les y entrelient pour la vente plutôt qu’on ne les engraisse en leur jetant tous les jours du pain de munition découpé en petits dé-». Un seul coup de filet a amené 2 à 3 quintaux de poisson. Nous avons tu de très belles pièces, une entre autres du poids de 15 kilogranmies, qui vivait, nous a-t-on dit, depuis plus de cent ans dans ces réservoirs. Ses écailles étaient blanches, et elle nous a semblé plutôt maigre que grasse. Ces carpes se conservent très bien dans toutes les saisons ; on en a toujours de toute grosseur ; elles sont tarifées depuis 2 jusqu’à 8 à 10 francs le kilogramme, suivant le poids, la saison , la nature ou même l’absence de sexe dans l’individu. Mais ces détails n’ont guère rapport qu’à la carpe ; il serait fort avantageux d’avoir aussi des données sur l’engrais de la tanche ; il faudrait donc étudier ses mœurs pour arriver à counaitre la nourriture qui lui convient le mieux, et pour la porter à cet embonpoint si recherché par les gastronomes. La perche offrirait aussi beaucoup d’avantages à l’engrais ; c’est un poisson essentiellement carnassier, il lui faiidi ait plus de nourriture animale (pi’à la carpe. Des débiis de boucherie, des entrailles de poulets pourraient bien remplacer, pour cette espèce, les petits poissons que nous ne croyons pas qu’il soit nécessaire de lui doimer en vie connue au brochet. Ce dernier a pour arme unicpie sa gueule énorme, qui saisit les poissons dans leur course ; mais la perche n’a qu’une petite liouclie et ne peut par conséquent s’atlriijuer tpie de faibles proies. Ses armes, aussi défensives qu’offensives, sont ses nageoires hérissées, qui blessent d’abord et tuent souvent ; elle se nounit de poissons morts ou de débris d’animaux : mais, une fois sortie de l’eau et transportée à quehpie distar^e, elle offre l’inconvénient de ne pouvoir y rentrer, parce qu’elle meurt presque aussitôt ; inconvénient grave, qui empêcherait qu’une fois dans le panier et portée au marché, elle pût en revenir sans être vendue. Peut-être, eu la conduisant en tonnelle, pourrait-elle au retour rentrer ea vie dans son réservoir.

Le brochet peut aussi s’entretenir et croître même, avec une nourriture suffisante ; mais, comme il en est de la plupart des animaux carnassiers, sa digestion est longue et il n’a pas besoin de renouveler souvent sa pâture ; il paraît qu’un seul repas abondant suffit par mois à sa consommation et à son entretien. Sa gueule énorme lui permet d’attaquer des poissons d’un volume presque égal au sien ; mais comme son estomac ni ses autres viscères ne pourraient pas les recevoir, le poisson reste en partie hors de sa gueule, retenu par les crochets dont elle est armée, n’est englouti ([u’à mesure que l’extrémité d’abord avalée se digère ; de plus, il paraît ne rien consommer en hiver : cependant, si on le garde dans des eaux de source, où la température reste constanunent de plusieurs degrés au-dessus de zéro, il a encore besoin d’être nourri ; sa conservation est en général chanceuse et peut entraîner des pertes ; il est d’un transport difficile et il en coûte beaucoup pour le porter à l’état d’embonpoint qui augmente sa saveur et sou jioids. L’engraisseur pourrait donc s’en tenir à la (^arpe, à la tanche, a la perche, et se borner pour le brochet à l’empêcher de maigrir. En général, le poisson de toutes les espèces consomme peu en hiver ; on l’engraisserait donc plus spécialement en automne ; cependant il est facile de l’entretenir en état pendant la saison froide, parce qu’on est éloigné des saisons du frai où il s’agite et maigrit, et que, consommant très peu, la nourriture qu’il prendrait lui serait d’autant plus profitable. Son engraissement donnerait aussi alors plus de profit, parce que l’hiver est l’époque où l’on recherche le plus les clioses fines et délicates. Si l’art d’engraisser le poisson est jusqu’ici peu avancé en Europe, il forme en Chine une branche inq)oilanle d’économie rurale ; la plupart des cultivateurs chinois engraissent aussi facilement leurs poissons que les nôtres leurs volailles ; ils leur donnent soir et matin du riz cuit, aucpiel ils ajoutent des resies de légumes, tels que salades, choux et toutes feuilles comestibles ; ils leur jettent particulièrement celles de la jalvia palustris , ou sauge deî marais qu’ils sèment st ])lanlent souvent dans leurs réservoirs ; ils font aussi consommer à demi dans de l’urine de la paille hachée qu’ils pétrissent avec du limon desiixières ou de la terre glaise ; enfin ils leur conservent avec soirt pendant l’année des coques d’œufs pour l’hiver, é|)oque où les débris de jiirdinage et les lin bes manquent. Leurt