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et que le fond ne soit pas vaseux. Les eaux lui fournissent bien sans doute quelque aliment, mais nous en ignorons absolument la nature ; dans les réservoirs ordinaires, alimentés seulement par les eaux de pluie ou de trop faibles sources, nous l’avons vu, lorsqu’on le laisse sans nourriture, dépérir et ne plus offrir que peu de qualité pour la consommation.

Dans les pays de montagne et d’eau vive, on a aussi des réservoirs de truites ; mais il faut que leur eau soit près de la source et qu’elle se renouvelle fréquemment. Ce poisson est vorace ; il faut par conséquent l’alimenter avec de petits poissons de rivière ou d’étang.

Les carpes et les tanches se nourrissent avec plus de facilité. On leur envoie, si on le peut, avec grand avantage, les eaux des écuries, des éviers ; les débris de tables, les balayures de la maison leur conviennent à merveille ; le fumier frais ou vieux, les grains de toute espèce, cuits ou crus, liés entre eux avec de l’argile, les boulettes de pommes de terres cuites, pétries avec de la farine d’orge, de froment, de maïs ou de sarrazin, les salades crues, les racines hachées, les débris animaux de toute espèce, les résidus de boucheries, sont aussi pour elles d’excellente nourriture. La carpe ne mange pas de poisson, mais vit d’insectes et de débris de toute espèce. On peut donc ajouter aux grains avec avantage des substances animalisées.

Dans les réservoirs on alimente les carpes avec de grosses masses d’argile pétries avec de l’orge ou d’autres grains que le poisson attaque et consomme à mesure de ses besoins. Sans nourriture spéciale, les carpes maigrissent beaucoup, mais se conservent pourtant fermes et de bon goût, si les eaux des réservoirs sont vives, si elles reçoivent des sources ou un peu d’eau courante ; il est essentiel de débarrasser fréquemment le fond de la vase qui s’y forme et s’y accumule, si on veut que les carpes ne prennent pas un goût de bourbe fort désagréable. Ce goût se perd, il est vrai, par le séjour un peu prolongé dans une eau vive.

La boue des réservoirs est un excellent engrais pour la plupart des terrains, quand on lui a laissé passer quelques mois à l’air. On est donc amplement dédommagé des frais de curage. Cette boue se forme des détritus des plantes aquatiques d’un grand nombre d’espèces qui y végètent avec vigueur, et qui rempliraient bientôt le réservoir si on n’avait soin de le vider régulièrement.

Les réservoirs doivent être placés dans des lieux aérés et exposés au soleil. Les arbres nombreux, qui y font de la vase en y laissant tomber leurs feuilles, sont nuisibles au poisson. Il faut aussi aux viviers une certaine profondeur, pour que l’eau pendant l’été ne prenne pas une température trop élevée qui pourrait faire périr le poisson dans les jours chauds et longs de la canicule ; c’est ce qui nous est arrivé en 1837 ; dans le fort de la sécheresse, des brochets et des carpes ont péri en assez grand nombre dans des réservoirs alimentés par des sources, bien faibles il est vrai. Si les réservoirs sont assez grands pour que le poisson puisse y faire de la feuille, il est bon que l’un des bords au moins soit en pente douce pour faciliter le frai.

On se défend des maraudeurs en plaçant des piquets dans le fond des viviers pour empêcher le jeu des filets ; toutefois on se ménage une place profonde où l’on puisse soi-même , avec un épervier, prendre le poisson au moment du besoin ; on lui jette quelque amorce dans cette espèce de pêcherie, et, s’il le faut, on le contraint à s’y réfugier en battant l’eau dans les autres parties du réservoir.

Les viviers ne sont pas d’un entretien difficile ; on peut en établir presque partout. On leur choisit une position favorable. Un pli ou une inflexion de terrain leur est presque nécessaire, comme à l’établissement d’un étang, s’il ne s’en trouve pas, on les creuse sur un sol qui offre de la pente, car cette disposition est absolument nécessaire, soit pour les vider, soit pour prendre le poisson, soit enfin pour débarrasser le fond de la bourbe qui s’y amasse. Si on n’a point d’eau de source, on les remplit avec de l’eau de pluie, et aussi promptement que possible ; les eaux des cours ou des terres labourées leur conviennent beaucoup mieux que celles des bois et des terrains maigres. Si on a été obligé de creuser un vivier, on doit , avant d’y retenir l’eau , le laisser exposé pendant un an au moins aux influences atmosphériques.

Mais pour les viviers, comme pour les étangs, l’une des premières conditions , à moins que le vivier ne soit alimenté par des eaux abondantes et courantes, c’est d’avoir un sol peu perméable ; si le terrain a cette qualité et qu’il présente une inflexion, une chaussée en terre se fait avec les mêmes soins , sous les mêmes conditions, et avec le même succès que pour les étangs.

Si le sol n’est pas imperméable, il faut le rendre tel, et pour cela glaiser le fond , c’est-à-dire le garnir d’un corroi d’argile pure de 0m,30 d’épaisseur. Les Anglais se sont bien trouvés de mettre un lit de chaux sous celui d’argile. Celle chaux repousse les insectes et défend le corroi. L’argile marneuse ne vaut rien pour cet objet, parce qu’elle se laisse pénétrer par l’eau et se délite facilement. Pour s’assurer que l’argile n’est point calcaire, on verse dessus quelques gouttes d’acide. S’il n’y a point d’effervescence, on a de l’argile pure ; l’argile effervescente est marneuse.

On fait la chaussée du réservoir en y mettant une clave ou corroi d’argile de 0m,70 au moins d’épaisseur. Si on n’a pas de bonne terre argileuse, un mur de 0m,70, construit avec des matériaux de peu de volume, placés à bain de mortier hydraulique, formera une construction que les eaux ne pourront traverser, Par ces divers moyens, on a un réservoir qui ne perd pas l’eau ; cependant, lorsqu’il n’est pas sur un fond imperméable, le temps, les poissons, les insectes et les soins de curage détruisent bientôt le corroi du fond, dans lequel les moindres fissures suffisent pour que l’eau se perde. Pour faire un ouvrage solide et durable, il faut donc garnir le fond et les bords d’une couche de 0m,15 de bon béton de chaux hydraulique. Ce moyen est plus cher sans doute, mais les viviers ainsi construits sont de longue durée et à l’abri de presque tous les accidents.

On trouve maintenant à peu près partout la pierre pour faire la chaux hydraulique ; la dépense n’est donc guère plus considérable qu’avec la chaux ordinaire. Avec de la chaux hydraulique, à 2 francs l’hectolitre, ou 20 francs le mètre cube (prix sans doute élevé), et du sable ou gravier à 2 francs le mètre cube, on peut fabriquer du béton à moins de 12 francs le mètre cube ; le mètre carré du fond du réservoir reviendra donc à moins de 2 francs.

Le béton se fait plus économiquement , et meilleur même, avec le gravier qu’avec le sable fin ; dans un béton bien fait, la chaux doit envelopper chaque molécule. Or, il est évident qu’un gros gravier demande, pour être enveloppé, beaucoup moins de chaux qu’un volume égal de sable fin dont toutes les molécules doivent être entourées.

On emploie aussi le béton d’une manière très économique toutes les fois qu’on peut se procurer de la blocaille ou des cailloux ; dans ce cas on place sur le sol une première couche de béton de 0m,05 à 0m,08 d’épaisseur ; on distribue sa blocaille de manière à ce qu’elle soit placée partout à bain de béton, et on l’enfonce avec les pieds armés de sabots jusqu’à ce qu’elle touche le sol. On met ensuite une nouvelle couche de béton de même épaisseur, dans laquelle on jette de la nouvelle blocaille. De cette manière, on épargne un tiers ou au moins un quart de volume de béton ; deux couches ainsi disposées suffisent pour faire le fond d’un réservoir.

Les moyens d'évacuer l’eau des viviers sont les mêmes que pour les étangs. On peut les simplifier en plaçant au-devant de la chaussée, dans le réservoir, l’œil de la bonde ; cet œil se bouche avec un tampon de bois qui porte un anneau de fer. Un bâton, garni d’un crochet de fer qu’on rentre à la maison, suffit pour ouvrir la bonde et faire évacuer l’eau quand on veut vider le réservoir. Tous les moyens que nous venons d’indiquer pour rendre les chaussées et le fond des viviers imperméables sont presque toujours inutiles sur les plateaux argilo- siliceux, où l’imperméabilité est le caractère principal du sol.


Section xviii. — Engraissement des poissons.

Les détails que nous venons de donner sur la nourriture du poisson , sur l’emploi et la construction des ré-