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jour de la chasse ; la nuit, celles qui ont échappé au carnage se rassemblent pour partir et ne plus revenir. Ces oiseaux sont généralement de passage, et, à l’exception de quelques canards, nichent peu dans le pays.

Section xvi. — Du produit comparé des étangs.

Dans le département de l’Ain, on estime en moyenne, dans la pêche à deux ans, à 50 francs par an le produit par cent d’empoissonnage, en y comprenant les tanches et les brochets. La pêche à un an vaut peut-être un peu plus de 60 francs par cent d’empoissonnage, surtout si les brochets ont réussi ; il faut déduire, pour la pêche à deux ans, 10 à 12 francs par cent d’empoissonnage assorti, et pour la pêche à un an, 15 à 20 francs ; ce qui réduit le produit annuel en argent à 40 ou 45 francs par hectare dans l’un et l’autre cas.

Dans un étang de bonne qualité, la carpe en deux ans augmente dans la proportion de 1 à 16, c’est-à-dire qu’une carpe de 60 grammes arrive à 1 kilogramme, le brochet de 125 grammes arrive à 1k,500, la tanche quadruple ou quintuple son poids. Mais il y a dans tous ces produits bien du hasard ; rarement se réalisent-ils dans les fonds mêmes de bonne qualité ; dans notre évaluation des produits en argent, la même que celle donnée dans la statistique, nous avons donc dû nous tenir beaucoup au-dessous de ce résultat pour les fonds de qualité moyenne, qui sont ceux dont nous voulions apprécier le produit ; et notre moyenne est encore beaucoup au-dessus de celui des mauvais fonds : lorsque le sol se tasse facilement, ou qu’il est de mauvaise qualité, il peut n’être souvent que moitié de celui que nous venons de donner comme terme moyen. Dans le temps où l’on voulait tout mettre en étangs, on agit comme dans toute circonstance où l’engouement tient lieu de raison ; on lit de très grandes dépenses pour mettre en étangs des fonds qui produisent très peu de poissons, et qui auraient pu produire de bons bois, ou être labourés et cultivés avec quelque avantage ; les chaussées qui environnent ces fonds, souvent de trois côtés, coûteraient maintenant beaucoup plus à faire que les fonds n’auraient de valeur vénale.

Dans les fonds de qualité moyenne dont nous avons parlé, le produit de l’avoine est de 20 à 25 hectolitres par hectare, dont il faut déduire les labours et frais de semailles, et en outre ceux de moisson et de battage, qui seuls content, eu égard à la nourriture des batteurs et moissonneurs, plus du quart du produit brut eu grains.

Dans le Forez, le produit en poisson donné par M. Durand est plus considérable. Les frais d’empoissonnage sont aussi plus forts. L’empoissonnage d’un an y pèse 13 à 15 grammes, tandis qu’il ne pèse que moitié dans l’Ain. Le produit brut en poisson y serait de 100 francs par hectare et par an, dont on ôte moitié pour frais d’empoissonnage, de garde et de pèche ; il resterait en produit net 50 francs. Le produit de la pêche de seconde année s’évalue à un huitième de moins que celui de première. Le produit en assec, au contraire de ce qui se passe dans le département de l’Ain, est regardé comme inférieur à celui du poisson, en sorte que le produit net moyen annuel de l’hectare de terrain en étang serait de 40 francs. Les étangs s’y sont relativement moins accrus que dans l’Ain. Cela s’explique, parce qu’ils offrent un moindre produit, que le sol moins ondulé y présente moins de positions favorables, et que les pluies moins abondantes offrent moins de moyens de les remplir.

M. de Morogues évalue en Sologne le produit annuel à 50 kilogrammes de poisson par an et par hectare. Si on compte les 50 kilogrammes de 25 à 30 francs, et qu’on ôte moitié pour l’empoissonnage et le chômage, ce qui est sans doute beaucoup, on aurait 12 à 15 francs par an pour le produit net moyen de l’hectare d’étang ; cependant ailleurs il ne porte ce chiffre qu’à 5 francs. Ces deux valeurs, données par un propriétaire qui habile le pays, seraient assez difficiles à concilier ; on pourrait, jusqu’à un certain point, l’expliquer par la grande différence de prix du poisson dans les différents cantons de la Sologne. Ces résultats, en prenant même le plus fort, prouvent donc surabondamment que le produit des étangs non alternés en labourage est peu considérable.

Enfin, M. de Marivaux estime le produit annuel en poisson, d’un hectare première qualité dans la Brenne, à 32 francs 50 centimes, déduction faite de l’empoissonnage et des frais. Si on retranche ceux de pêche et de chômage de la onzième année, ce produit se réduit à 28 fr. La moyenne du produit dans le département de l’Ain nous paraît supérieure. Le résultat de ces comparaisons serait donc évidemment que l’assolement alternatif en labour et en poisson serait de beaucoup le plus favorable, puisque, outre une plus grande valeur en poissons, il fournit tous les deux ou trois ans, sans engrais, une récolte abondante d’avoine et surtout de paille, ressource très précieuse pour le domaine ; il est en outre remarquablement moins malsain, d’abord parce que dans l’année d’assec le sol de l’étang en labour a perdu toute son insalubrité, et qu’ensuite, dans les années d’eau, les bords de l’étang, transformés par les labours de l’assec en planches bombées, s’égouttent beaucoup mieux, à mesure que par l’évaporation de l’été le sol se découvre, et dégagent moins de miasmes que lorsqu’ils restent à plat couverts de joncs, de carrex et de plantes aquatiques, comme dans les étangs non cultivés.


Section xvii. — Des viviers, de leur usage et de leur construction.

Les viviers sont des pièces d’eau destinées à entreposer, conserver et engraisser le poisson ; leur utilité dans toutes les habitations à la campagne est incontestable. Outre l’agrément qu’ils présentent, de vivifier et de varier le coup d’œil des jardins, ils offrent encore le grand avantage de tenir le poisson prêt pour le moment du besoin ; à la ville les poissonniers s’en chargent, mais cette ressource manque à la campagne.

Les viviers sont surtout nécessaires aux personnes qui s’occupent de l’économie et de la direction des étangs. On a besoin tous les ans de conserver de jeunes brochets, pour les mettre dans le mois de mai ou en automne dans les étangs. On est encore souvent obligé d’entreposer l’empoissonnage, parce que fréquemment ceux auxquels on le destine ne sont pas prêts à le recevoir. Et puis, dans l’expédition du poisson, on peut éprouver du retard : un froid subit, des orages, de grandes pluies, peuvent forcer d’interrompre une pêche commencée ; les viviers alors servent d’entrepôts ; enfin, dans le commerce et la production du poisson, il est une foule de circonstances où ils sont de la plus grande utilité.

Pour l’ordinaire, de petits étangs sont destinés à cet usage ; mais ils sont presque toujours trop grands pour l’emploi du moment, et, une fois vidés, il faut trop d’eau pour les remplir. Plus loin, nous verrons que les viviers seraient encore nécessaires pour l’entretien et l’engraissement du poisson ; c’est par ces motifs que nous avons jugé utile, dans un écrit sur l’économie des étangs, de nous occuper aussi des viviers.

Nous n’entrerons pas dans le détail des constructions et des usages des viviers des anciens ; c’était un objet sur lequel ils avaient porté tout leur luxe et toute leur industrie : mais c’était surtout des viviers d’eau de mer qu’ils avaient établis, et ils y conservaient des poissons de toutes les tailles et de toutes les mers connues.

Les réservoirs modernes sont mieux assortis à nos mœurs et à nos habitudes : ils sont destinés particulièrement aux trois espèces de poisson dont nous avons parlé, aux carpes, aux tanches et aux brochets. Il est à propos d’avoir deux réservoirs, ou au moins une séparation dans un seul. Le brochet doit être séparé des deux autres espèces, parce qu’autrement il les dévore ou les fait périr par les blessures qu’il leur fait. La faim lui fait attaquer des carpes d’un poids presque égal au sien ; il ne peut les avaler, mais il les blesse cruellement, et le plus souvent elles succombent aux suites de ces blessures. On le nourrit avec de petits poissons, mais on le conserve aussi sans lui en donner pour pâture ; il maigrit alors, mais il reste néanmoins ferme et de bon goût, si l’eau du réservoir est vive, que quelques source l’alimentent,