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chap. 9e.
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DE L’ÉTABLISSEMENT ET DE LA CONSTRUCTION DES ÉTANGS.

Section v. — Des étangs alimentés par les eaux pluviales et de ceux alimentés par les cours d’eau.

Le plus souvent, autant que nous avons pu en juger, les étangs, ailleurs qu’en Dombes, sont situés sur des cours d’eau ou des sources ; en Dombes, pour les établir on se contente de barrer, par des chaussées, tous les petits bassins latéraux qui écoulent leurs eaux de pluie dans les cours d’eau. La quantité de pluie, plus forte qu’ailleurs, suffit d’ordinaire pour les remplir et les entretenir pleins ; et puis, en faisant communiquer les bassins entre eux, on laisse perdre le moins d’eau possible, et les étangs se remplissent mutuellement.

Les étangs formés par l’eau des pluies sont beaucoup plus insalubres que ceux qui s’alimentent par des cours d’eau ; la raison en est facile à concevoir. L’insalubrité des étangs est due spécialement à l’abaissement des eaux pendant l’été : dès le mois de juin, l’infiltration et l’évaporation dépassent beaucoup la quantité d’eau pluviale ; les eaux s’abaissent graduellement, et, à la fin d’août, il y a bien, en moyenne, le tiers ou le quart au moins du sol que l’eau couvrait au printemps qui s’est successivement découvert. Toutes ces laisses d’étangs, qui représentent dans notre pays plusieurs milliers d’hectares, deviennent alors des marais éminemment malsains ; leur sol, couvert de débris animaux et végétaux, sous l’influence du soleil d’été, produit des émanations funestes. Ces effets du soleil d’été sur le sol que l’eau laisse à découvert se reproduisent ailleurs que dans le voisinage des étangs ; des fièvres endémiques et de mauvais caractère suivent souvent les inondations d’été sur le littoral des grandes rivières.

Il est loin d’en être de même des étangs alimentés par des sources ou des cours d’eau. Ces étangs restent toujours au même niveau, l’eau s’y renouvelle sans cesse ; les bords qui restent couverts d’eau produisent peu d’effluves dangereuses ; les surfaces d’eau ne sont point insalubres par elles-mêmes. Ainsi, dans les marais Pontius, pour arrêter les effets dangereux des miasmes, on couvre le sol d’eau.

Les étangs alimentés par des cours d’eau nuisent donc peu à la salubrité ; tels sont les étangs de M. Massou, qui, d’après leur propriétaire, ne causent point de fièvres à leurs riverains ; ces étangs nous semblent, en outre, placés sur le sol calcaire. On remarque dans notre pays que ceux placés sur cette nature de sol développent moins d’insalubrité ; toutes les formations et composés calcaires neutralisent en général les émanations insalubres. S’il était nécessaire d’apporter de nouvelles preuves de l’insalubrité du sol que les eaux viennent de quitter et que frappe le soleil d’été, nous rappellerions ce qui se passe dans notre pays lorsqu’on pêche les étangs au mois d’août : on voit les fièvres se multiplier alors presque instantanément. Ainsi, l’année dernière, une propriété de Dombes, dans laquelle on avait desséché tous les étangs, avait passé depuis deux ans deux automnes sans fièvre ; cependant, au mois d’août de l’année dernière, on a péché un étang placé dans un voisinage qui ne dépendait point du même propriétaire ; peu de jours après, presque tous les habitants de la propriété, quoique placés à distance, ont été frappés par la fièvre. Toute pèche d’étang devrait donc être interdite depuis la fin de mai jusqu’à l’équinoxe.

Section vi. — De l’établissement et de la construction des étangs.

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§ ier. — Travaux préliminaires.

La première opération à faire avant l’établissement d’un étang, est l’évaluation de la quantité d’eau dont on peut annuellement et en moyenne disposer pour le remplir. Il résulte des observations que nous avons développées précédemment sur la nature du sol où sont placés les étangs, que lorsque sa couche supérieure est saturée, les eaux, au lieu de s’infiltrer, coulent à la surface et peuvent se recueillir pour former l’étang. Il faut donc s’assurer d’abord de l’étendue du bassin de l’étang, c’est-à-dire de la surface de sol qui verse ses eaux dans le pli de terrain qu’où veut remplir d’eau ; il faut voir ensuite s’il ne serait pas possible d’y amener quelques eaux de source ou de pluie, ou d’en tirer au besoin des étangs voisins.

Lorsqu’on ne peut point recevoir d’eau étrangère au bassin, il est à peu près nécessaire que le sol qui doit fournir l’eau à l’étang ait au moins de six à douze fois plus d’étendue qu’on ne veut en donner à celui-ci. On conçoit que cette étendue de bassin doit varier suivant que le sol est plus ou moins argileux, et qu’on est plus ou moins maître du sol environnant pour faire arriver sans obstacle les eaux à l’étang.

Il convient aussi qu'un étang puisse se remplir avec les pluies de l’automne et de l’hiver, d’octobre en mars ; autrement, pendant la saison chaude, l’étang étant en partie vide, le poisson n’aurait pour parcourir et pour croître qu’une portion seulement du sol qui lui est destiné ; il est cependant des étangs qui, suivant les années, ne se remplissent qu’au bout d’un an, dix-huit mois ou deux ans ; mais c’est pour eux une grande perte de produit.

Lorsque le sol qui verse à l’étang est en terre labourable, dans les années ordinaires et avec un climat pluvieux, un quart ou un cinquième de l’eau pluviale peut arriver à l’étang, le sol en bois en fournit moins, parce que les grands végétaux en absorbent davantage, et que la culture ne l’a pas disposé de manière à faciliter l’écoulement des eaux surabondantes. Dans les pays où il tombe 1 mètre 20 centimètres d’eau, l’étang en recevra donc une couche en moyenne de 25 centimètres d’épaisseur de toute l’étendue de son bassin ; or nous avons supposé cette étendue huit fois plus grande que la surface de l’assiette de l’étang, il lui arrivera donc une quantité d’eau représentée par un prisme qui aurait 2 mètres de hauteur, et qui aurait pour base la surface de l’étang ; à quoi ajoutant 1 mètre 20 centimètres tombés pendant l’année sur cette surface, on aura en tout un prisme d’eau de 3 mètres 20 centimètres de hauteur pour alimenter et tenir plein l’étang, remplir les vides causés par l’évaporation et l’infiltration pendant toute l’année, et dont une partie s’est écoulée en trop plein.

Mais ces circonstances sont bien différentes lorsque la pluie n’est que moitié de celle que nous venons d’indiquer ; le sol alors, qui a besoin de se saturer plus souvent avec des pluies plus rares, ne laisse peut-être pas aller à l’étang du sixième au huitième de l’eau qu’il reçoit, ou moitié à peine de ce qu’il en laisse couler dans les climats pluvieux ; il faut donc, dans les pays où la quantité de pluie est moitié moindre, une surface affluente trois ou quatre fois plus considérable pour entretenir l’étang convenablement plein.

Ces considérations sont d’une haute importance ; elles expliquent pourquoi, avec des circonstances analogues de sol, la surface des étangs en Dombes est, proportionnellement à l’étendue du pays, trois ou quatre fois plus grande que dans les contrées où la quantité de pluie est moitié moindre. Ainsi, par exemple, on conçoit que les étangs qui, en Dombes, ont besoin de plus d’un an pour se remplir, et qui, dans les dernières années qui viennent de s’écouler, ont toujours manqué d’eau, ne se rempliraient jamais dans les climats moins pluvieux.

On est dispensé de grands bassins lorsqu’on a, dans le voisinage, des étangs placés à un niveau plus élevé ; mais il faut en être le maitre pour pouvoir disposer de leurs eaux au moment du besoin.

Lorsqu’après avoir étudié la nature de son sol, on s’est assuré qu’il est peu perméable, soit en y essayant de petites retenues d’eau, soit par l’analogie qu’on lui trouve avec d’autres sur lesquels on a observé des étangs, il serait encore à propos de sonder son terrain pour pouvoir juger si la couche imperméable a assez d’épaisseur pour empêcher l’infiltration des eaux ; il faut en outre, au moyen de nivellements bien faits, déterminer l’étendue que l’eau pourra couvrir, s’assurer si le terrain a une pente suffisante pour que l’étang ait assez de profondeur, voir s’il forme un petit bassin naturel qui puisse se fermer par une chaussée de médiocre longueur, et enfin examiner si le terrain qui verse à l’étang a suffisamment d’étendue pour pouvoir le remplir. Lorsque toutes ces conditions sont remplies d’une manière satisfaisante, on peut raisonnablement espérer de réussir ; toutefois en-