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liv. v.
AGRICULTURE FORESTIÈRE : DE L’ESTIMATION DES FORÊTS.


placerons les procédés vagues et arbitraires dont on se contente assez communément, par des règles positives, que nous déduirons du raisonnement ou de l’expérience. Nous les formulerons de manière à les mettre à la portée de toutes les intelligences, en leur donnant cependant assez de précision pour qu’elles conduisent toujours à des résultats certains et rigoureux.

Section ire. — Evaluation du sol des bois.

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§ ier. — Principes de l’évaluation du sol des bois.

L’estimation des terres, des prés, des vignes, ainsi que des usines de tout genre, c’est-à-dire l’estimation des propriétés tant rurales qu’industrielles, présente, en général, la plus grande facilité. Elle n’exige qu’une seule recherche préalable, celle du revenu de la propriété. Or, ce revenu est toujours aisé à déterminer, souvent même il se trouve tout exprimé. Lorsqu’on en connaît le chiffre, on le multiplie par celui qui indique le taux de l’intérêt courant. Ainsi, par exemple, qu’un champ soit affermé à raison de 50 fr. par an, on sait immédiatement, à l’aide d’un calcul tout-à-fait usuel, que ce fonds vaut 1000 fr. si l’intérêt de l’argent est compté à 5 p.100 ; 1250 fr. si l’intérêt n’est porté qu’à 4 p.100, et, enfin, 1666 fr. et une fraction de franc, si l’intérêt ne s’élève pas au-dessus de 3 p.100. Ces appréciations ne comportent aucune méthode spéciale ; il est aussi aisé d’en saisir les élémens que de les soumettre aux combinaisons du calcul.

Mais où trouver l’expression du revenu annuel des bois pour en faire la base d’une évaluation semblable à celle qui précède ? Un hectare de bois rend 1000 fr. à chacune de ses exploitations, dont le retour a lieu périodiquement tous les 20 ans. Si je me place par la pensée à l’origine d’une de ces périodes, j’ai devant moi la perspective d’un produit de 1000 fr. à recueillir après une révolution de 20 années. Et si, pour ramener ce produit à la forme d’un revenu annuel, je le divise par le nombre d’années que je dois mettre à l’attendre, je trouve pour chacune de ces 20 années un revenu apparent de 50 f. ; nous disons apparent, parce que, comme nous allons le voir, le revenu vrai est bien inférieur à ce chiffre.

Comparons les produits respectifs d’un hectare de terre et d’un hectare de bois dans le cours d’une période de 20 ans, en supposant que ces deux fonds rapportent, savoir : le champ 50 fr. par an, et le bois 1000 fr. au bout de 20 ans.

Je perçois annuellement le revenu du champ, c’est-à-dire que, chaque année, je reçois une somme de 50 fr. Cette série de petits capitaux se bonifie de la réunion des intérêts progressifs. La 1re rentrée de 50 fr. me procure 19 ans d’intérêts, la 2e rentrée 18 ans, la 3e 17 ans, et ainsi de suite, en décroissant jusqu’à la 20e et dernière annuité. L’accumulation de ces intérêts, que je ne supposerai que de 4 p. 100, finit par ajouter au capital un accessoire très-important. Dans l’hypothèse que j’ai choisie, le champ me donnera, non seulement vingt fois 50 fr. ou un capital de 1000 fr, mais en outre une somme d’intérêts qui s’élèvera à 600 fr., de sorte que cette propriété me rapportera 1600 f. dans le cours de 20 années, tandis que dans le même temps le produit de l’hectare ne sera que de 1000 fr. Ces deux fonds n’ont donc aucune identité de valeur, bien que leurs revenus annuels semblent être exactement les mêmes ; l’hectare de bois dont il s’agit ne peut être estimé au même prix que l’hectare de terre ; ce qui nous autorise à conclure que le mode d’évaluation des fonds de bois ne saurait avoir rien de commun avec le mode d’évaluation des fonds de terre.

Il est d’usage, cependant, d’estimer les fonds de bois par comparaison aux terres voisines, en prenant pour base le produit annuel des classes de terre analogues aux classes diverses du sol boisé. Nous démontrerons, avant d’aller plus loin, que cette pratique est extrêmement vicieuse, et qu’elle ne peut conduire qu’à des résultats erronés.

Supposons qu’il s’agisse d’estimer des bois situés sur des coteaux ardus n’offrant qu’une couche légère de terre végétale, nous remarquerons que le bois prospère plutôt dans ces terrains inclinés que dans les plaines, dont le fonds serait de même nature, et plutôt encore au revers septentrional des montagnes que dans les pentes exposées au midi. Des terres labourables, au contraire, situées sur de fortes déclivités, seraient tout-à-fait impropres à la culture ou ne donneraient qu’un faible revenu, notamment si elles se trouvaient à l’aspect du nord. La conséquence évidente de ce rapprochement, c’est que dans les situations les plus semblables, des terrains de même nature peuvent avoir beaucoup de valeur comme bois, ou n’en avoir aucune comme terre.

Ne trouve-t-on pas quelquefois dans les pays de plaine, et fréquemment dans les contrées montueuses, des forêts du plus précieux revenu, entourées de terres d’un faible produit, et même de friches que le soc n’a jamais sillonnées ? Si le fonds de ces forêts devait être estimé proportionnellement aux terres voisines, l’évaluation ne donnerait qu’un résultat fort exigu ou tout-à-fait nul. Or, comment un fonds qui est supposé donner de grands produits pourrait-il n’offrir aucune valeur capitale ?

Il est de toute évidence, au surplus, qu’on ne peut établir de rapprochement vrai et rigoureux qu’entre des valeurs ou des choses semblables. Les fonds plantés de bois et les terres cultivées diffèrent essentiellement par leur nature comme par le mode de succession de leurs produits ; ces propriétés n’ont entre elles aucune mesure commune. La valeur des unes ne saurait donc être prise pour base de l’estimation des autres.

Un principe qui paraît incontestable dans le sujet qui nous occupe, c’est que les fonds de bois doivent être estimés, et d’après le degré de bonté du sol, et d’après la valeur vénale des produits. Mais comme les produits varient et doivent nécessairement varier en quantité ou volume, selon la bonne, ou médiocre, ou mauvaise qualité du sol, il est clair que les données relatives au sol d’un bois se trouvent toujours implicitement comprises dans l’expression de son produit pécuniaire.