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liv. iv.
ARTS AGRICOLES : LAITERIE.


sont précisément celles qui fournissent les meilleurs beurres ou les fromages les plus délicieux ; il est donc de la plus haute importance, dans la direction d’une laiterie, non seulement d’avoir une connaissance parfaite de l’art, mais de veiller avec la plus scrupuleuse exactitude à l’accomplissement des soins généraux qui assurent d’excellens produits.

La température qu’il faut faire régner et conserver dans la laiterie est un point important, qui doit fixer sans cesse l’attention de la ménagère. Cette température doit, autant que possible, être en toute saison de 10 à 12 degrés du thermomètre centigrade (8 à 10 de celui de Réaumur), parce que c’est à ce degré de chaleur que la crème se sépare plus complètement du lait. Si la température est plus élevée, le lait s’aigrit promptement, se caille et ne fournit plus qu’une couche mince de crème, celle-ci n’ayant pas eu le temps de monter à la surface. Au contraire, quand la température est trop basse, la crème se dégage mal, monte avec difficulté, et contracte une saveur amère qui nuit à son débit ou à la délicatesse du beurre. On doit chercher autant que possible à maintenir une température constante de 10° en été et de 12° en hiver.

Pour régler la température, on fait usage du thermomètre[1], et pour la diriger on emploie les moyens suivans. — Si, malgré les précautions prises, la température en hiver descend au-dessous de 10°, on la rétablit en faisant circuler de l’eau chaude ou de la vapeur dans des tuyaux disposés pour cet objet, en allumant du feu dans le poêle ou le calorifère, ou bien en apportant dans la laiterie un petit baril et mieux une petite caisse en tôle remplie d’eau bouillante et soigneusement fermée ; on peut encore déposer dans la laiterie quelques briques ou cailloux rougis au feu, dont on augmente le nombre ou qu’on renouvelle suivant le besoin ; mais il faut bien se garder, ainsi qu’on le fait dans quelques localités, d’apporter dans cette salle des réchauds, des fourneaux découverts ou tout autre vase à feu qui laisse échapper des vapeurs, des cendres ou de la fumée, parce que, outre le danger d’asphyxier ceux qui se trouvent ou entrent dans la laiterie, on apporte encore des malpropretés et on communique au lait lui mauvais goût que partagent les produits qu’on en retire. — Au contraire, si, pendant les chaleurs de l’été, la température s’élève au-dessus de 12°, ou si le lait apporté encore chaud tend à faire monter le thermomètre, on peut abaisser cette température en plaçant a divers endroits de l’atelier quelques morceaux de glace qui, en se fondant, rétablissent l’équilibre du calorique. Pour cela il faut avoir une petite glacière économique attenant à la laiterie, comme on le voit dans quelques parties de l’Angleterre, ainsi que dans le Lodésan où se fabrique l’excellent fromage de Parmesan. A défaut de glacière on abaisse la température en faisant tomber en pluie de l’eau fraîche, ou même par de simples lavages. Ce qu’il importe surtout, c’est de se mettre à l’abri des variations brusques de température, soit, lorsqu’on prévoit un changement de temps par la chute ou l’élévation du baromètre[1], en fermant toutes les ouvertures et les recouvrant avec des paillassons, soit par des lavages.

La température constante des eaux des puits artésiens, qui en toute saison est d’environ 12°, serait très-propre, si on pouvait à volonté introduire leurs eaux dans la laiterie, à maintenir l’uniformité de température la plus favorable au laitage.

L’état orageux de l’atmosphère est très-nuisible au lait, dont elle détermine la coagulation prématurée, et avant que la crème soit séparée de la matière caséeuse. Pour se garantir de cet effet, on n’a d’autre ressource que de répandre partout de l’eau fraîche dans la laiterie, puis d’en fermer toutes les issues. Fourcroy pensait qu’on pouvait prévenir ou au moins retarder les effets funestes des temps orageux en faisant traverser toute la laiterie par un fil ou conducteur métallique.

La propreté la plus minutieuse est non seulement indispensable dans une laiterie, mais c’est la véritable base de toute son économie. En vain vous posséderiez des vaches laitières excellentes, vous les nourririez dans les pâturages les plus riches et les plus abondans, si la propreté ne règne pas dans votre laiterie, vous ne pouvez recueillir, malgré vos soins dans la manipulation, que des produits de qualité inférieure. Le lait est un liquide très-délicat que la moindre exhalaison, la souillure la plus légère peuvent considérablement altérer. Une bonne ménagère n’épargnera donc ni peine ni soins pour rechercher et maintenir cette propreté si précieuse, et elle y parviendra par les moyens suivans :

Les lavages fréquens et abondans. Ils doivent avoir lieu avec de l’eau pure et fraiche une fois tous les jours pour la laiterie entière, et ils seront répétés toutes les fois qu’on aura fait quelque opération qui aura donné lieu sur les banquettes ou sur le dallage à l’épanchement d’un peu de lait ou de crème, à des caillots de matière caséeuse ou à du petit-lait. Ces matières répandues ne tarderaient pas à s’altérer, à faire cailler le lait dans les terrines, et à donner à toute la laiterie un goût d’aigre et de moisi. Ces lavages doivent se faire à grande eau et en frottant les endroits souillés avec la brosse, de petits balais de chiendent ou d’écorce de bois, ou des linges imbibés d’eau. Les vases se récurent avec du sable fin et de la cendre dont on charge une poignée de paille ou de feuilles d’ortie. Enfin toutes les eaux du lavage doivent être dirigées, avec un balai bien propre, dans les gargouilles qu’on lavera elles-mêmes à l’eau pure et avec beaucoup de soin.

L’asséchement prompt et complet de la laiterie aussitôt après les lavages est une condition nécessaire, parce qu’on a remarqué que la vapeur d’eau qui s’élève contenait, malgré les soins les plus scrupuleux, assez de particules fermentescibles pour faire tourner le lait ou donner à la laiterie un goût de moisi, et que la crème et le lait conservent bien plus long-temps leur douceur dans une atmosphère sèche que dans un air humide.

  1. a et b Cet instrument est décrit et figuré dans le chap. 1er, livre 1er.