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liv. iv.
ARTS AGRICOLES : FABRICATION DES VINS.

vénient est de trier les raisins et de faire plusieurs cuvées; ou est toujours certain de cette manière de fabriquer un vin passable, auquel on appliquera les procédés d’amélioration qui seront indiqués. La meilleure manière d’opérer le triage des raisins est celle que donne M. Rougier de la Bergerie. On établit au lieu où se charge la vendange, une ou plusieurs tables triangulaires, ayant un rebord de 7 à 8 pouces sur les côtés et dont chaque angle, porte sur une banne, un grand panier ou un tonneau défoncé. On verse les raisins sur ces triangles et des personnes préposées en font le triage convenable selon le degré de maturité; on extrait des grappes les grains verts, secs ou pourris, et on assortit les espèces suivant l’usage ou la qualité de vin désirée. Cette opération me paraît indispensable toutes les fois que par une circonstance quelconque, on se trouve dans l’impossibilité de couper les raisins à plusieurs reprises.

Autant que possible, il faut vendanger lorsque le soleil a dissipé la rosée ou desséché le raisin et la terre, s’il a plu la veille ou quelques jours auparavant. Il faut employer à cette opération un nombre suffisant de vendangeurs pour qu’elle soit faite avec célérité.

Dans quelques pays on place la vendange dans un tonneau qu’on fonce ensuite; on la laisse ainsi quelques jours avant de la fouler; dans d’autres, on étend le raisin sur des claies ou sur le plancher, dans un lieu sec et chaud.

On sait que tous les fruits pulpeux, tels que les pommes, les poires, acquièrent, lorsqu’on les laisse en tas après la récolte, dans un lieu sec et d’une température modérée, une maturité qui leur manquait au moment où on les a recueillis; le raisin est dans le même cas. C’est ainsi qu’à Clamecy, à Limoux et aux environs de Saumur, on garde les raisins en tas, pendant 5 ou 6 jours avant de les fouler. Ils éprouvent dans cette situation une maturité qui convertit eu sucre les principes qui dominent dans le verjus. Ce procédé de saccharification était connu des anciens Grecs et se pratique encore dans plusieurs îles de l’Archipel, en Espagne, en Italie, et il se recommande aux œnologues qui ont un local convenable, une espèce de cépage qui en mérite la peine, et qui désirent au moins présenter sur leur table un vin du cru digne de recevoir les éloges des gourmets et des connaisseurs.

Dans plusieurs vignobles de la Bourgogne, on foule le raisin à demi, pour en conduire une plus grande quantité à la fois; dans la Franche-Comté, on l’égrappe à la vigne. Cette méthode peut bien ne pas avoir de graves inconvéniens lorsque le raisin est mûr et que la température atmosphérique est assez élevée; mais si le raisin a besoin d’être trié, si la saison est froide, on amène alors à la cuve un moût qui entre très lentement en fermentation; dans tous les cas, cette pratique est vicieuse et ne convient tout au plus que pour les vins ordinaires et les gamais.

Je crois utile de rappeler ici aux viticoles que, 15 jours ou plus avant la vendange, ils doivent visiter les instrumens et vases destinés au service de la récolte et a la fabrication du vin. Les paniers, teilles, balonges, hottes ou baquets seront soigneusement lavés à grande

eau, lessivés avec un peu d’eau de chaux ou de cendres, pour enlever le goût de moisi qui se communique si facilement au vin et dont il est difficile ensuite de le débarrasser. Cette saveur est même si persistante qu’on s’en aperçoit encore quelquefois au goût dans de l’eau-de-vie qui provient d’un vin moisi. Pendant plusieurs années je me suis servi avec succès, pour affranchir les tonneaux du goût de moisi, d’acide sulfurique étendu de 12 ou même 20 parties d’eau en poids, ou bien le double en volume. Après avoir lavé les futailles avec ce mélange, on les rince ensuite avec un lait de chaux ou une lessive de cendres, puis avec de l’eau fraîche; on laisse sécher ou bien on mèche et on ajoute un peu d’eau-de-vie de bon goût. Les cuves se nettoient de la même manière.

La récolte étant faite en temps opportun, avec les précautions qui ont été recommandées selon les circonstances météoriques, et la vendange étant amenée à la cuverie, il ne s’agit plus que de la disposer à se convertir en vin et de la préparer pour être mise dans la cuve ou la futaille dans laquelle doit s’opérer la fermentation. Dans ce but, nous allons traiter en premier lieu des manipulations relatives aux vins rouges, la fabrication des vins blancs offrant quelques différences essentielles dont nous traiterons à part.

§ V. — De l’égrappage.

Cette opération a pour objet de séparer les grains de la rafle et cette séparation peut être totale ou partielle.

Est-il utile ou non d’égrapper en tout ou en partie ? C’est une question qui depuis longtemps a divisé et divise encore aujourd’hui les viticoles et les œnologues. Nous pensons que la pratique est le seul guide à consulter et à suivre dans cette occasion. On a observé que la rafle active la fermentation, qu’elle donne au chapeau une perméabilité nécessaire pour le dégagement de l’acide gazeux qui se produit, et qu’elle renferme un principe acerbe, astringent, qui contribue à la conservation des vins qui ne contiennent qu’une petite quantité d’alcool ou d’esprit de vin. Quant aux vins destinés à la distillation, l’égrappage est inutile. La rafle introduit dans la liqueur une plus grande quantité de ferment qui favorise la décomposition complète et la transformation en alcool de la matière sucrée. Dans les années propices, la rafle est sèche, ligneuse et ne cède pas aussi facilement ses principes à la liqueur en fermentation; l’égrappage est plus avantageux lorsque le raisin n’a pas acquis une maturité parfaite. Lorsque le moût n’a qu’une saveur douce, sucrée, sans mélange prononcé d’acidité et d’astringence, on laisse la rafle en plus grande quantité: si on opère la vinification en vaisseaux clos, on doit laisser moins de grappes que dans le cas où la fermentation a lieu en cuves non couvertes et dure peu de jours. Sans vouloir établir une loi ou règle générale, je pense que l’égrappage ne doit pas être pratiqué en totalité, et dans les pays où le raisin cuve sans grappe, on a sans doute des motifs plausibles qu’une longue pratique a sanctionnés. Nous conseillons cependant à ceux qui enlèvent la rafle en totalité et à ceux