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Les barils pour la marine royale anglaise doivent contenir 56 morceaux de 4 livres chacun, et par conséquent 224 livres de bœuf salé. Le couperet dont le boucher irlandais se sert est d’une seule pièce. Son tranchant est d’environ 2 pieds et sa hauteur de plus d’un pied ; le manche a environ la même longueur. Cet instrument est si lourd qu’il sépare presque par son propre poids le morceau de viande sur lequel il tombe. On peut juger de l’activité de ce boucher quand on apprend qu’il dépèce ordinairement, en 8 heures de travail, 30 bœufs du poids de 450 livres chacun. À mesure que la viande est dépecée, elle est rem- ise à ceux qui la salent, en observant qu’aucune viande saignante ne passe du boucher au saleur. L’endroit où l’on sale est ordinairement un hangar placé dans une cour ou un local disposé à cet effet dans une maison ; dans tous les cas on a reconnu qu’une libre circulation d’air était nécessaire pour ce travail. Le saloir est disposé en carré long pour que les ouvriers puissent commodément faire pas- ser la viande de l’un à l’autre ; ses côtés ont environ 1 pied de hauteur. La viande y est jetée de gauche à droite jusqu’à ce qu’on la mette dans les barils placés dans la partie la plus élevée du saloir. On se sert en Irlande de 2 sortes de sels, savoir : 1° le sel anglais provenant des mines de sel gemme de Liverpool ou des marais salants de Limington. Ce sel, qui est blanc et léger, pénètre facilement la viande par le frottement, et hâte la formation de la saumure ; 2° le sel portugais, ou de Lisbonne, qui est pur, blanc, transparent, d’un grain fin, lourd, se conservant tres sec par un temps humide, et plus fort que le précédent. En général, il faut que le sel qu’on emploie soit pur, parce que s’il est gris et sale, il ôte à la viande sa belle couleur ; qu’il soit exempt de parties terreuses ou bien d’hydrochlorates de chaux et de magnésie, sels délisquescents, c’est-à-dire qui attirent l’humid- ité de l’atmosphère, se résolvent en liqueur, font corrompre la viande, et ont dans tous les cas l’in- convénient de lui donner une saveur amère et désa- gréable. Il n’est pas nécessaire que ce sel soit très fort ; au contraire, les sels de force moyenne sont les meilleurs. Si le sel est trop gros, il faut le broyer. La proportion de sel que les meilleurs saleurs obser- vent est de 22 parties en poids sur 100 de viande. De ces 22 parties, 12 sont de sel anglais et 10 de sel de Lisbonne. Pour frotter la viande on se sert en totalité d’un mélange de 12 de sel anglais et de 8 de sel de Lisbonne ; ce qui reste de ce dernier sur les 22 parties est répandu sur les pièces en les déposant dans les barils, parce qu’on n’emploie, pour cette dernière opération, que du sel de Lisbonne pur. Au reste, la quantité des sels consommés dans la salaison et les proportions dans lesquelles on les mélange, dépendent de leur force, de leur pureté et de leurs qualités, ainsi que de la destination des viandes salées. Le nombre des ouvriers dans un atelier de salai- sons se fixe naturellement d’après la quantité de viande à saler. Ils travaillent 8 heures par jour, et, dans cet espace de temps, 4 ouvriers irlandais salent 30 bœufs du poids de 450 livres chaque, ou 40 vaches, ou bien 100 cochons. Le métier d’ouvrier saleur s’apprend facilement avec un peu d’exercice. Pour mieux faire pénétrer le sel dans la viande, on se sert, à Dublin et autres lieux, de forts gants de peau ; à Belfast et Cork, d’une sorte de manique ferrée composée de 2 ou 3 morceaux carrés de cuir de semelle, de la largeur de la main et dépassant un peu l’extrémité des doigts. Ces morceaux de cuir sont posés l’un sur l’autre et garnis extérieurement avec des têtes de clous assez longs pour être rivés de l’autre côté et posés fort près les uns des autres. Une lanière de cuir fixée derrière, en forme de poignée, et dans laquelle l’ouvrier passe la main, sert à tenir solidement cet instrument qu’on appelle gant. Pour procéder à la salaison, on commence par saup- oudrer de sel les morceaux de viande ; ce sel pénè- tre dans la viande à force de frotter, et la salure par- faitement. Pour cela, les ouvriers, placés à côté les uns des autres devant le saloir, se passent succes- sivement les morceaux de viande qu’ils frottent avec le sel au moyen du gant dont nous venons de par- ler. Le premier ouvrier est celui qui frotte le plus la viande ; tous cependant la frottent plus ou moins. On est obligé de frotter plus longtemps et plus fort la viande de bœuf que celle de porc. Quand la pièce de viande est parvenue au dernier ouvrier, qui est ordinairement le plus habile, il la retourne en tous sens et examine bien l’ouvrage des autres ; s’il y trouve quelque défaut ou une veine qui n’ait pas été ouverte, il l’ouvre et y fait entrer du sel en frot- tant : dans tous les cas, il frotte la pièce à son tour. De ses mains, et sans observer aucun ordre pour la grosseur des morceaux, la viande passe dans les ton- neaux de salaison, où on l’entasse autant que pos- sible, mais sans y ajouter d’autre sel. On la laisse ainsi à découvert dans un endroit propre et aéré au moins pendant 8 à 10 jours pour que la saumure la pénètre parfaitement. Les barils ou tonneaux dont on fait usage pour embariller les viandes salées doivent être faits avec soin en chêne sec, et cerclés en noisetier ou châtaignier, comme les tonneaux pour contenir les vins. Il faut veiller à ce qu’ils n’aient ni fentes ni ouvertures par lesquelles l’air ou les liquides pour- raient s’échapper, et qui auraient pour inconvéni- ent, non seulement de faire couler la saumure, mais encore de laisser pénétrer l’air et de faire éprouver à la viande un commencement de décomposition. Avant de s’en servir, surtout quand ils sont neufs,

CHAP.6e DE LA SALAISON DES VIANDES 111 ils doivent être lavés avec beaucoup de soin et frot- tés à l’intérieur avec du sel et du salpêtre. On peut consulter d’ailleurs, sur la construction et la prépa- ration des tonneaux, ce que nous avons dit à la page 28 du présent tome. Lorsque la viande est restée dans les barils le temps nécessaire pour que le sel la pénètre et se résolve en saumure, on la retire pour l’embariller de nouveau. La viande, ainsi macérée, a moins de volume et de poids que quand on l’y a placée ; on compte qu’un tonneau de viande a perdu ainsi 14 livres de son poids. Quand on a versé dans un baquet toute la sau- mure qui était dans les tonneaux, on gar