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pas trompé ; il trouva en effet, au milieu des steppes qui séparent Astracan d’Orembourg, des flocons épars de duvet qui lui firent connaitre qu’il n’était pas nécessaire qu’il allât plus loin. Il avait remarqué d’ailleurs que, dans la langue du pays, on donnait à ces chèvres le nom de chèvres du Thibet. Il acheta 1289 bêtes, qu’il embarqua à Caffa, et qui arrivèrent au lazaret de Marseille au mois d’avril 1819. Elles avaient beaucoup souffert du voyage, tous les jours il en périssait quelques-unes ; mais une bonne nourriture et des soins intelligens les rétablirent bien vite. Le 6 mai j’arrivai à Marseille par ordre du ministre, pour les examiner. Je choisis pour le compte du gouvernement 99 chèvres et un jeune chevreau. L’introduction de ces chèvres thibetaines n’a point eu jusqu’à présent le résultat heureux que l’on en espérait, probablement parce qu’il ne s’est point rencontré d’agronome qui ait consacré son temps et ses soins à les répandre et à les faire adopter dans les contrées où l’on s’adonne à l’éducation de la chèvre  ; mais il ne faut point désespérer d’atteindre un jour ce but, et de voir enfin tirer parti de la conquête que M. Ternaux a livrée à la France. TESSIER, de l’Institut.


CHAPITRE XVI. — DU LAPIN.

Le tort que les lapins font à l’agriculture lorsqu’ils sont réunis en grand nombre dans les pays cultivés, a excité contre eux l’animadversion des cultivateurs, quelque précieux qu’ils soient par leur poil, leur peau et leur chair. Aussi, en ce moment, nos chapeliers, qui consomment par an pour 15 millions de peaux de lapins, sans compter ce que la bonneterie et la draperie en emploient, en tirent une grande partie de l’étranger, tandis que notre climat pourrait nous permettre d’en exporter abondamment, si son éducation était bien dirigée. Indépendamment de l’emploi de son poil, la peau du lapin fait une fort bonne colle ; la chair de cet animal fournit un bon bouillon et une nourriture saine que les habitans de la campagne pourraient facilement se procurer, tandis que la rareté de la viande de boucherie les réduit souvent à ne manger qu’un peu de porc, et à vivre presque toujours de végétaux. Enfin le fumier de lapin est un très-bon engrais, surtout dans les terres glaiseuses. Quelques obstacles se sont opposés à la multiplication des lapins domestiques ; on a prétendu que leur réunion viciait l’air et causait des maladies ; mais il a été reconnu que, dans ce cas, les habitans ne manqueraient pas de s’en apercevoir avant que l’air pût avoir contracté une qualité malfaisante, et que d’ailleurs la mortalité complète des lapins précéderait toujours de beaucoup l’époque à laquelle l’air pourrait devenir dangereux à respirer. La différence de saveur de la chair des lapins sauvages, comparée à celle des lapins domestiques, et le mépris que font de ces derniers les hommes qui se piquent de délicatesse, ont mis aussi des bornes à cette espèce d’industrie. La chair des lapins sauvages est en effet plus succulente et un peu plus ferme ; mais la nourriture choisie et les préparations qu’on peut donner à ces animaux après leur mort, font disparaître presque entièrement ces différences ; et la grosseur des lapins domestiques, dont M. Lormoy, notamment, propage une race qui pèse jusqu’à dix à douze livres, dédommage bien d’une différence de goût presque insensible. Une des principales causes qui ont empêché la multiplication des lapins domestiques est la mortalité, qui enlève souvent des portées entières et décourage le cultivateur qui voit perdre ainsi le fruit de son labeur. Le manque de soins est le plus souvent cause de cette mortalité.

§ Ier. — Des garennes libres.

On peut donner trois sortes d’habitations aux lapins : des garennes libres, forcées et domestiques. Les garennes libres, trop nuisibles aux autres productions agricoles pour être usitées dans les pays cultivés, ont le plus grand succès dans les montagnes sablonneuses et incultes, où ces animaux se plaisent et se multiplient abondamment. En Irlande, en Danemark les dunes sont couvertes de lapins sauvages qui s’y sont naturalisés, et les propriétaires retirent un grand produit de leur dépouille, qui est seule comptée dans une grande exploitation de ce genre. L’évêque de Derry obtient d’une grande garenne située sur le bord de la mer, douze mille peaux de lapins, par année.

§ II. — Des garennes forcées.

Les garennes forcées diffèrent des premières en ce qu’elles sont entourées de tous côtés par des fosses, des murs ou des haies qui empêchent les animaux de s’écarter de l’habitation. Il n’y a pas de mesure fixe pour leur grandeur, qui doit être la plus étendue possible. C’est en général à leur petitesse qu’on doit attribuer le peu de succès de quelques-uns de ces établissements en France ; en Angleterre, quelques-unes contiennent plusieurs centaines d’acres ; et on y assomme dans une seule nuit cinq à six cents paires de ces animaux. Ces garennes sont fermées de murs de terre recouverts de jonc ou de chaume, ou bien elles sont entourées d’une clôture de pieux ; dans leur intérieur, on forme plusieurs champs, clos de murs et semés en prairies artificielles, surtout en turneps, qui servent de nourriture pendant l’hiver. Dans les lieux où la terre ne fournit pas ces productions, on élève des meules de foin, que les lapins consomment pendant la saison morte, des hangars sont adossés aux murs de clôture, afin que ces animaux puissent trouver une nourriture sèche pendant la saison pluvieuse, et l’on a soin de pratiquer dans la garenne plusieurs terriers artificiels, pour inviter les lapins à continuer ce premier travail. Olivier de Serres recommande d’établir la garenne sur un coteau exposé au levant ou au midi, dans une terre légère mêlée d’argile et de sable, qu’il faut parsemer de taillis épais, et planter d’arbres qui puissent fournir de 1’ombre aux lapins et qui résistent à leurs dents ; tels sont en général les arbres verts. Il faut en ajouter d’autres qui poussent avec rapidité et dont la coupe puisse devenir une nourriture utile, que les lapins trouvent sur place, tels que tous les arbres fruitiers, les chênes, les ormes, les genévriers, les acacias, etc. On doit avoir soin d’environner ces arbres dans leur jeunesse, afin de les défendre de l’approche des lapins. Toutes les plantes odoriférantes, tels que le thym, le serpolet, la lavande doivent être répandues dans la garenne ; enfin, on doit y mettre des graminées, des plantes légumineuses et des racines, lorsque son étendue ne fournit pas une nourriture naturelle assez abondante. Cette étendue, suivant Olivier de Serres, doit être au moins de sept à huit arpens, et il assure qu’une garenne forcée de cette grandeur rapporter a deux cents douzaines de lapins par année, si elle est convenablement entretenue. Il veut que la garenne soit voisine de la maison, afin qu’elle puisse être fréquemment visitée et mieux gardée, qu’elle soit enfermée par des murailles de pierres ou de pisé, hautes de neuf à dix pieds, dont les fondations soient assez profondes pour empêcher les lapins de passer sous la construction. Ces murailles doivent être garnies, au-dessous du chaperon, d’une tablette saillante qui rompe le saut des renards. Il faut aussi griller d’une manière serrée les trous nécessaires à l’écoulement des eaux. Les