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L’étude de ces diverses variétés que possédait la France aurait, un jour ou l’autre, conduit quelqu’homme de génie à reconnaitre qu’il était possible d’amener progressivement le mouton à tel degré de perfectionnement que l’on eût jugé nécessaire. Les deux variélés extrêmes de Roussillon et de Flandre, convenablement dirigées, auraient pu, par elles-mêmes, produire chez nous des types parfaits de moutons à longue laine lisse et de moutons à laine frisée superflue ; mais ce but était atteint depuis des siècles en Espagne (quant à la laine frisée) ; et l’on pensa qu’il était plus simple d’introduire une race toute faite que d’en créer une à force de temps. On acheta donc des mérinos que l’on multiplia, négligeant dès lors de pousser les variétés françaises dans une voie progressive, ce qui eùt été cependant fort utile pour obtenir des laines lisses. Le succès des mérinos nous fit perdre de vue ce but important vers lequel l’Angleterre dirigea tous ses efforts et qu’elle atteignit bientôt. Aujourd’hui il ne nous reste plus qu’à suivre pour les races de plaines la voie suivie pour les races de montagnes, c’est-à-dire à nous approprier les moutons anglais comme nous nous sommes approprié les moutons espagnols. C’est en partant de cette idée que nous allons étudier l’éducation des bêtes à laine, l’art de les élever, de les propager, d’en tirer le plus grand produit. ÉLIZÉE LEFÉVRE.

§ II. — Du mérinos.

Pendant plusieurs siècles l’Espagne posséda seule cette belle race de moutons fins connus sous le nom de mérinos, elle en prohiba toujours sévèrement l’exportation ; cependant, en 1723, la Suède ; en 1765, la Saxe, en obtinrent un troupeau ; la France n’obtint la même faveur que vingt ans plus tard. Des systèmes divers furent suivis pour la multiplication ou plutôt pour l’éducation de ces animaux précieux. Les éleveurs saxons s’attachèrent uniquement à la production d’une laine sans égale pour la finesse, et atteignirent ce but en négligeant toutes les autres qualités des mérinos ; ils sacrifièrent à la finesse, la force, l’élasticité, l’abondance de la laine ; ils comptèrent pour rien la taille des animaux, leur bonne construction et leur produit comme bête de boucherie ; néanmoins ils s’acquirent une juste célébrité, puisque nulle laine ne pouvait entrer en concurence avec la leur pour la confection de certaines étoffes. Ailleurs, en France par exemple, des éleveurs tombèrent dans l’extrême opposé, en cherchant à élever la taille sans presque songer à la toison ; ce système était déplorable ; c’était l’abâtardissement des mérinos, la destruction sans aucun but utile d’un perfectionnement qu’il avait fallu des siècles pour atteindre. D’autres, se méprenant un peu moins sur l’usage des mérinos, crurent obtenir assez d’avantages en produisant des toisons beaucoup plus pesantes qu’aucune toison indigène, et ne firent aucun effort pour maintenir la finesse des bêtes espagnoles ; c’était encore une grande erreur : l’agriculture française, en suivant cette voie, eût perdu tous les fruits que l’on devait espérer de l’importation obtenue à si grande peine. Heureusement la direction du troupeau primitif que le gouvernement entretenait comme troupeau modèle, fut confiée à des hommes assez habiles pour éviter soigneusement tous les extrêmes. Ils s’attachèrent à maintenir la finesse des toisons et même à l’accroître ; mais en même temps ils firent tous leurs efforts pour conserver à cette race un tempérament rustique, une santé robuste, afin de rendre sa propagation plus facile et plus prompte. Il est probable que, sans cette direction rationnelle, le gouvernement n’eût jamais pu faire adopter la race espagnole par les cultivateurs français. Si le troupeau national de Rambouillet n’eût présenté que des bêtes petites, faibles, chétives, la finesse de leur toison n’eût pas suffi pour déterminer la généralité des fermiers à les acheter ; ils auraient craint de s’engager dans une expérience trop délicate où ils pouvaient compromettre leur argent et leur temps : mais en trouvant un troupeau aussi vigoureux que les races indigènes, d’un produit égal en viande, et d’un produit incomparablement plus grand en laine, nul ne pouvait hésiter. Nous ne sortirons point de notre sujet en étudiant un peu ce troupeau de Rambouillet, où les cultivateurs vont, encore aujourd’hui, chercher des béliers de race plus parfaite que les béliers mêmes d’Espagne. Au commencement de 1786, lorsque les constructions de la ferme s’achevaient, M. Dangivilier, ayant eu connaissance des longues et savantes expériences de Daubenton sur les bêtes à laine fine, se concerta avec M. Trudaine, intendant du commerce, qui avait fait naitre et encouragé l’établissement de Montbard, où Daubenton entretenait depuis 1766 un troupeau de race pure espagnole. On fit goûter à Louis XVI le projet de faire venir, pour sa ferme de Rambouillet, un troupeau de mérinos. Le roi fit demander en son nom au roi d’Espagne, son beau-frère, la liberté d’importer un troupeau de bêtes à laine superfine ; cette demande fut accueillie, et toutes facilités furent accordées à M. de La Vauguyon, notre ambassadeur à Madrid, pour l’achat et la sortie des bêtes ; le troupeau fut acheté et choisi par deux Espagnols instruits dans cette partie, don Ramira et André Gilles Hernans ; ils prirent des animaux dans les principales bergeries ou cavagnes ; savoir : Perales 58 Aleola 87 Perella 50 Saint-Juan 37 Paular 48 Portago 33 Negretté 42 Zranda 20 L’Escurial 41 Salazar 10 Le tout formait un troupeau de 383 bêtes, dont 42 béliers, 334 bebis et 7 moutons conducteurs. Réuni dans les environs de Ségovie, il en partit le 15 juin 1786 sous la condutie de Gilles Hernans, comme maître berger, et de quatre autres Espagnols : ils voyagèrent lentement ; l’hiver les surprit dans les landes de Bordeaux, beaucoup de bêtes périrent ; mais elles furent, en partie remplacées par des agneaux nés en route. Enfin, le