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[7.4.7]

§ VII. — Manière d’opérer la transition de la nourriture ordinaire à celle de l’engraissement.

L’expérience et le raisonnement indiquent assez que cette transition doit s’opérer peu à peu. Je regarde comme mal fondés, dit Pabst, les principes de certains engraisseurs qui veulent que, dès le début, on force sur la nourriture, afin, disent-ils, d’activer davantage les organes de la sécrétion et la graisse. — Il peut être avantageux de donner, dès le commencement, des substances très-nourrissantes et en même temps émollientes, comme, par exemple, l’eau blanchie avec des matières farineuses, afin de préparer les organes digestifs ; mais on atteindrait mal ce but en doublant tout de suite la quantité de nourriture jusqu’alors donnée. Un bœuf qui pendant longtemps n’a eu que vingt livres de foin, en mangera quarante si on les lui, donne, surtout si on s’entend à les lui bien préparer ; néanmoins il ne pourra s’approprier immédiatement toutes les parties nutritives de cette masse de fourrage, et trente livres données pendant quelque temps avant de passer aux quarante livres auraient produit les mêmes résultats.

Un autre fait non moins avéré par l’expérience de tous les bons engraisseurs, c’est que, dans les commencemens, les bêtes à l’engrais se contentent de toute espèce d’alimens ordinaires, et augmentent plutôt en chair qu’en graisse ; qu’au contraire, plus tard, lorsqu’elles ont acquis un certain degré d’embonpoint, il leur faut une nourriture plus recherchée, et en particulier des alimens renfermant plus de substance nutritive sous un moindre volume, si l’on veut quelles continuent à faire des progrès dans l’engraissement. On a remarqué en outre que les fourrages grossiers, composés en grande partie de fibre végétale, de mucilage et de fécule brute, comme le foin, le fourrage vert, les pommes de terre, etc., influent particulièrement sur la formation de la viande ; tandis que d’autres, renfermant beaucoup de gluten, de mucilage sucré, d’huile, de fécule changée par l’effet de la fermentation, comme le grain surtout après qu’il a été fermenté, les tourteaux d’huile, les drèches de brasseurs, etc., influent davantage sur la formation de la graisse. — De ces divers faits il résulte la règle suivante pour le régime convenable à suivre à l’égard d’un animal qui, comme cela a lieu ordinairement, se trouve dans un état moyen de maigreur lorsqu’on commence à l’engraisser.

« Dans les premières semaines de l’engraissement, on augmentera peu à peu la nourriture que l’animal a eue jusqu’alors, en y ajoutant une boisson nourrissante. Jusque-là, les animaux (il est ici question plus particulièrement des bêtes bovines) peuvent encore être employés, soit à un travail modéré, soit à donner un peu de lait. Lorsqu’on a atteint le point où l’animal ne se soucie plus d’une augmentation de cette nourriture et qu’il dénote un accroissement marqué, on cessera de tirer de lui tout service, et on ajoutera à sa nourriture des alimens plus substantiels et agissant davantage sur la production de la graisse. À mesure que les bêtes deviendront grasses, on supprimera peu à peu une partie des fourrages grossiers, et on les remplacera par des alimens plus nutritifs. — Lorsqu’au contraire, on engraisse des bêtes qui sont déjà en chair, on conçoit qu’il est plus avantageux de débuter incontinent par la ration entière de l’engraissement sans avoir besoin de régime transitoire ; car il ne faut pas oublier que les animaux n’emploient à la formation de la graisse que le surplus des alimens qui leur sont nécessaires pour persévérer dans cet état ; d’où il suit qu’un engraissement prompt est plus avantageux que celui qui est tiré en longueur. »

C’est à J. Pabst que nous devons le principe sus-énoncé. — Thaër développe des principes à peu près analogues. « Tous les engraisseurs de l’Angleterre, dit ce dernier auteur, prétendent qu’il convient de commencer d’abord par la nourriture la plus substantielle, afin, disent-ils (et l’explication n’est rien moins que physiologique), d’élargir les vaisseaux de sécrétion, ou plutôt de les stimuler, et de les mettre mieux en activité. Cela s’opère surtout par le moyen de boissons farineuses, et d’une digestion facile ; de tels breuvages sont très-utiles pendant les huit à quinze premiers jours, durant lesquels on donne une moins grande ration des autres fourrages. Ensuite lorsque le bétail a atteint un certain point de graisse, le désir de manger diminue peu à peu chez lui ; à cette époque il ne consomme plus les mêmes rations qu’auparavant, et il reste ainsi à peu près dans le même état. Si alors on veut le pousser à un degré d’embonpoint plus élevé, il faut passer à un genre de nourriture plus succulent et qui, sous un moins grand volume, contienne une plus grande proportion de parties nutritives. »

De ce qui précède il résulte que, lorsqu’on pousse les animaux à un point très-avancé de l’engraissement, les dernières livres de graisse sont beaucoup plus difficiles à produire que les premières ; il est également évident que, soit relativement à la masse de substance alimentaire nécessaire pour produire un poids donné de graisse, soit relativement à la valeur d’une même quantité de substance alimentaire, la production d’un quintal de graisse doit être beaucoup plus coûteuse, sur la fin de l’engraissement d’un lot d’animaux, que dans les premiers momens de cette opération. Les prix de vente de la viande grasse compensent au reste, jusqu’à un certain point, cette différence ; car sur tous les marchés, le quintal de viande se vend à un prix d’autant plus élevé que les animaux ont été poussés à un plus haut degré de graisse. Comme l’engraisseur obtient cette augmentation de prix, non pas seulement sur le dernier quintal de graisse qu’il a produit à grands frais, mais sur le poids total de l’animal, il peut se trouver souvent remboursé de ses avances.

Il faut mettre la plus grande régularité dans les heures auxquelles on donne à manger aux bestiaux et dans la force des rations. Le bétail acquiert une connaissance très-précise du temps ; on peut l’observer d’une manière très-particulière chez les bêtes de trait qui sont avancées en âge, et qui, lorsque les heures de repas sont arrivées, se refusent au travail, et veulent s’en aller à la maison, ou bien dans la