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pour pouvoir se conduire ; un silence presque absolu sont trois circonstances qu’il faut que les animaux trouvent dans les étables où on les enferme pour les engraisser. On dit qu’en Angleterre, pays où l’engraissement des bœufs est beaucoup plus perfectionné qu’en France, on entoure la tête et le corps de ces animaux de deux, et même de trois ou quatre couvertures de laine qui les tiennent toujours en moiteur, et qui les empêchent complètement de voir et d’entendre. En France on met les animaux dans des étables basses et peu éclairées, mais généralement on n’y surveille pas assez la température, qui doit être chaude et constamment humide. Une atmosphère saturée de vapeur d’eau favorise l’engraissement en donnant de la souplesse et de la mollesse à la peau et aux fibres, et en s’opposant à la transpiration des bêtes qui y respirent ; cette transpiration, ne pouvant se dégager, reste dans les tissus et contribue au développement et à l’accumulation de la graisse. On sait qu’il suffit d’un brouillard de vingt-quatre heures pour engraisser les ortolans, les grives et autres oiseaux, au point de les empêcher de voler. Le célèbre engraisseur Bakewell jetait au milieu de l’été ses moutons dans des pâturages humides et succulens ; la pourriture y était devancée par l’engraissement, et cet agronome saisissait le point précis où ce dernier était complet, et où la maladie allait commencer.

Dans le Limousin et en Allemagne, les étables destinées à recevoir les animaux à l’engrais sont souvent pourvues d’une galerie extérieure percée de trous pratiqués vis-à-vis la mangeoire de chaque animal ; c’est par ces ouvertures que l’on donne la nourriture aux bœufs sans troubler en aucune manière leur repos. On n’entre dans l’étable qu’une fois par jour pour mettre de la nouvelle litière, et on ne fait sortir les animaux qu’une fois par semaine, pendant une ou deux heures au milieu du jour, pour leur faire respirer l’air du dehors, et avoir le temps d’enlever les fumiers. Dans ces étables, où il ne pénètre que peu de lumière, les bœufs placés chacun dans une stalle où ils jouissent de la plus complète tranquillité, sont presque toujours couchés sur la litière pour ruminer, digérer et dormir ; ils ne se lèvent guère que pour prendre de nouveaux alimens.

La propreté est une condition essentielle de l’engraissement des animaux à l’étable ; dans le Limousin et la Vendée, on étrille même tous les jours les bœufs qu’on y a soumis à l’engrais ; cependant, comme cette opération favorise leur transpiration, il semble, d’après ce que j’ai dit plus haut, qu’elle doive retarder l’époque où ils doivent être livrés au boucher.

Ce ne sont pas les animaux qui mangent davantage et le plus vite qui s’engraissent le plus promptement, ce sont ceux qui mangent peu à la fois, souvent et lentement. Il faut que la digestion soit complète pour que la faim renaisse ; et, toutes choses égales d’ailleurs, un animal qui a mangé deux fois plus qu’un autre, a besoin de trois fois plus de temps que cet autre pour digérer ce qu’il a mangé. Donner peu à la fois et souvent doit donc être le principe de tout bon engraissement.

Les bœufs et les moutons qu’on met en liberté dans des pâturages abondans pour les engraisser, ou qu’on fait souvent sortir pendant qu’on les engraisse à l’écurie, n’importe de quelle manière, arrivent plus tard à point, comme disent les engraisseurs, que ceux que l’on a tenus sans mouvement et sans distraction. On pourrait croire d’après cela que l’intérêt de tous les spéculateurs est de ne pas employer les premiers moyens ; cependant on en fait souvent usage, soit par habitude, soit parce que le repos absolu, joint à une nourriture abondante, donne quelquefois lieu à des maladies qui emportent rapidement les animaux qui en sont atteints. De plus, les animaux ainsi engraissés ont la chair moins délicate et moins savoureuse que ceux qui ont toujours respiré un air pur, et on les recherche moins. — Dans l’engrais à l’herbe, il suffit de laisser les animaux dans des enclos abondans en herbe, et où ils ne soient troublés par rien ; la vue fréquente de personnes inconnues, les aboiemens des chiens, les coups, suffisent pour retarder l’engraissement. On se rappelle dans la vallée d’Auge, en Normandie, une année où l’engraissement ne réussit pas, parce que des ouvriers, qui travaillaient pour le compte du gouvernement, passaient continuellement à travers les herbages. — Cette méthode est la plus longue et la plus incomplète ; elle permettrait difficilement d’augmenter la quantité de graisse, lorsqu’elle est parvenue au degré ordinaire, si on ne cherchait pas à arriver à ce but en saignant l’animal pour l’affaiblir et disposer sa fibre à se relâcher.

La saignée favorise encore l’engraissement en facilitant l’absorption des principes nutritifs, et en provoquant une réparation supérieure à la perte. On saigne au commencement de l’engraissement, et dans le courant de cette opération, on réitère la saignée si l’examen du pouls la fait juger nécessaire.

Mais de toutes les circonstances qui peuvent favoriser l’engraissement, la castration des animaux que l’on y soumet est, sans contredit, la principale. Dès les temps les plus reculés, on a fait subir cette mutilation aux animaux domestiques destinés à la nourriture de l’homme. Hésiode, qui vivait il y a trois mille ans, parle de l’usage, pratiqué longtemps avant lui, de châtrer les taureaux, les béliers et les chevreaux, pour en rendre la chair plus grasse et plus savoureuse. Plusieurs siècles après, Aristote et Pline écrivirent que cette opération était, dans le même but, pratiquée chez les Grecs comme chez les Romains sur les femelles des animaux domestiques.

Les génisses et les brebis châtrées s’engraissent mieux et plus promptement que les femelles qui n’ont pas subi cette opération ; mais il est bien rare de nos jours, en France du moins, que l’on y ait recours. Des expériences récentes semblent démontrer que, lorsque les vaches sont châtrées dans le moment où elles donnent beaucoup de lait, elles continuent à fournir une égale quantité de ce liquide pendant tout le reste de leur vie. Si de nouvelles expériences viennent confirmer ce fait, il est probable que la pratique de la castration de ces femelles se généralisera. Cet usage est déjà assez répandu dans quelques contrées de l’Al-