Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1844, II.djvu/389

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

perdent sous les tropiques. Plus est grande la différence entre les circonstances naturelles des deux pays, plus est prompt et complet le changement qu’éprouve la race. De là cette règle, de tirer autant que possible la race étrangère d’un pays analogue à celui dans lequel on veut l’importer. Du reste, plusieurs causes viennent retarder les modifications que subit une race dans un pays étranger.

Plus une race a de constance, plus est lente la dégénération. Les chevaux de la Camargue, quoique vivant depuis des siècles sous l’influence de circonstances bien différentes de celles où se sont développées les races de l’Orient, ont néanmoins conservé beaucoup de traces de celles-ci.

L’art, qui, dans tant de circonstances, lutte avec honneur contre la nature, est plus efficace encore que la constance, et peut empêcher, sinon tout changement, du moins la dégénération d’une race étrangère en atténuant l’influence des circonstances naturelles défavorables, ou en la contrebalançant par celle de moyens artificiels dont on règle l’énergie. Il arrive alors souvent que sous l’action de ces diverses circonstances réunies, il se forme une race nouvelle ayant ses caractères particuliers, conservant cependant plus ou moins des qualités de la race primitive, et qui finira par devenir constante si on la conserve dans sa pureté. C’est ainsi que se sont créées en Europe plusieurs races de chevaux qui proviennent des races orientales : le cheval de pur sang anglais, le genêt andalous, le cheval limousin, et, parmi les autres animaux, le mérinos électoral, celui de Rambouillet, de Naz et du Roussillon, les porcs chinois et tonquins, etc. Plusieurs de ces races importées ont même dépassé sous certains rapports leurs types primitifs. Ainsi, les électoraux et les moutons de Naz sont plus fins que les mérinos d’Espagne ; les chevaux de pur sang anglais sont supérieurs aux chevaux arabes pour les courses de peu de durée. Si les électoraux n’ont pas la taille, la vigueur, l’abondance de laine des moutons espagnols ; si les chevaux anglais sont bien inférieurs aux chevaux arabes sous le rapport du fond, de la durée, de l’aptitude à supporter la fatigue et les privations de tout genre, si même ils sont inférieurs sous ce rapport à beaucoup de nos races communes, ainsi que l’a prouvé une multitude de faits, ce n’est point au climat et aux circonstances locales qu’il faut l’attribuer, mais uniquement à la différence des vues qui ont dirigé les éleveurs dans le traitement des animaux en général, et surtout dans le choix des types reproducteurs. Tandis que la vie nomade des mérinos d’Espagne forçait les éleveurs dans ce pays à rechercher pour la monte les mâles les plus robustes et les plus vigoureux, les éleveurs saxons, qui n’avaient pas les mêmes motifs, et qui étaient poussés par les circonstances commerciales à tout sacrifier à la finesse de la laine, préféraient un bélier petit, chétif, mal conformé, mais d’une haute finesse, à l’animal le plus beau, le plus fort, le plus chargé en toison, lorsque, comme cela se voit ordinairement, sa laine n’était pas aussi belle. Tandis que l’Arabe, toujours en guerre, toujours en course à travers des pays arides et déserts, devait rechercher dans son cheval, outre la vitesse absolue, la faculté de pouvoir supporter facilement des marches rapides et forcées et de dures privations, qualités essentielles pour lui, puisque sa vie en dépend souvent, l’éleveur anglais, se conformant au goût de sa nation pour les courses de chevaux, ne voyait et n’appréciait dans les chevaux arabes importés en Angleterre qu’une seule qualité, la rapidité dans les allures. Négligeant toutes les autres, et ne s’attachant qu’à perfectionner celle-ci et encore seulement pour les courses de peu de durée, il dirigea le régime, le traitement et l’accouplement des animaux de façon à créer des coureurs qui pussent parcourir deux ou trois kilomètres dans le plus court espace de temps possible, sans qu’il s’inquiétât du reste si ces chevaux ne devaient pas précisément leurs succès sous ce rapport, à l’exagération vicieuse de certaines formes, et s’ils eussent pu fournir à une course quelque peu prolongée. Aussi l’Arabe a-t-il créé le meilleur cheval de guerre, de route et en général de selle qui existe ; l’Anglais n’a créé que le meilleur cheval de course.

On obvie encore efficacement à toute dégénération et même à toute modification d’une race étrangère introduite dans un pays, en rafraîchissant le sang, c’est-à-dire en important de temps à autre des individus mâles et femelles de la race pure élevés dans leur patrie. Ce moyen n’est, du reste, nécessaire que lorsqu’on a croisé la race étrangère avec celle du pays, ou lorsque les circonstances locales sont de nature à favoriser certains défauts que l’on veut éviter. Sans ces motifs, il est souvent mauvais de rafraîchir le sang, surtout lorsque par des soins on est parvenu à développer dans la race importée certaines qualités essentielles, plus qu’elles ne le sont dans la race primitive. On nuirait, sans contredit, à la finesse de la race électorale en y introduisant de nouveau du sang de mérinos espagnols. Il en serait probablement de même pour les chevaux de pur sang anglais à l’égard des courses, si on voulait les croiser de nouveau avec des chevaux arabes.

L’introduction d’une race étrangère est avantageuse toutes les fois que la race indigène est trop abâtardie, ou du moins montre trop peu d’aptitude au genre de service que nous avons en vue pour que nous puissions espérer obtenir des résultats prompts et sensibles, soit en l’améliorant par elle-même, soit en la croisant. Ainsi dans le Limousin, lorsqu’on veut se procurer de bonnes vaches laitières, on préfère, avec raison, faire venir des bêtes bretonnes que d’améliorer sous ce rapport, la race du pays qui n’est bonne que pour le travail et l’engraissement. On conçoit, du reste, que la préférence qu’on doit accorder à cette méthode sur les autres, dépendra beaucoup de la facilité qu’on aura de se procurer du dehors une race telle qu’on la désire.

[7.2.4]

§ IV. — Croisemens des races.

En accouplant des individus du même genre, mais d’espèces ou de races différentes. c’est-à-dire en croisant, on obtient un produit qui tient en même temps du père et de la