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chap. 5.
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PATHOLOGIE SPÉCIALE.


le pouvoir, et regarde son ventre. Bientôt il se couche et se relève précipitamment, se couche de nouveau, fait entendre des plaintes, regarde toujours son ventre, s’étend sur le côté, se débat violemment, et se place sur le dos, les quatre membres en l’air. Il s’agite dans cette position, la quitte pour la reprendre à chaque instant, se relève et paraît n’avoir pas un seul instant de répit. La respiration est fréquente et courte, le pouls devient dur, plein et fréquent ; les animaux se campent, soit pour varier leur position et chercher un soulagement à leurs douleurs, soit pour faire des efforts pour uriner ; souvent ces efforts sont inutiles, ou bien, s’ils sont suivis de succès, l’urine qui est évacuée est rouge, huileuse et très-chargée. Les souffrances allant toujours croissant, il survient des tremblemens convulsifs, auxquels succèdent des sueurs gluantes aux flancs, aux fesses, aux épaules, et quelquefois sur presque tout le corps. Bientôt la chaleur du corps baisse ; le froid est surtout sensible aux oreilles, au bout du nez et au bas des membres ; le pouls devient petit et intermittent, les mouvemens des flancs se précipitent, les sueurs deviennent froides ; en même temps l’agitation augmente, l’animal ne se met plus aussi souvent sur le dos, mais il se couche et se relève presque constamment ; ses naseaux sont très-dilatés ; enfin, il périt dans les plus violentes convulsions, ou bien après avoir retrouvé quelques instans d’un repos trompeur, qui indique ordinairement l’existence d’un épanchement de sang dans l’intestin. La marche de cette maladie est tellement rapide, qu’en 12, 15 ou 24 heures au plus, l’animal a cessé de vivre ou se trouve hors de danger. On peut espérer la guérison lorsqu’on voit la tranquillité succéder aux tourmens, le pouls reprendre de la souplesse, la chaleur du corps se rétablir d’une manière plus égale, et les sueurs disparaître.

Le traitement de cette maladie ne peut offrir quelque chance de succès, que lorsqu’il est employé dès le début. Il y a ici plusieurs indications à remplir : 1° diminuer la violence de l’inflammation, et prévenir l’épanchement de sang dans la cavité de l’intestin ; 2° calmer les douleurs atroces auxquelles l’animal est en proie ; 3° faire naître sur un point éloigné et peu important à la vie, une irritation vive et prompte, qui puisse déplacer celle qui est fixée sur le tube intestinal ; 4° enfin rétablir la liberté du ventre. — La première indication se remplit au moyen de saignées qu’il ne faut pas craindre de taire larges et copieuses, en es proportionnant toutefois à l’âge et à l’état du sujet ; si l’animal est jeune et vigoureux, la première saignée doit être de huit à dix livres au moins ; on les répète ensuite tant que le pouls reste plein et dur. et que l’animal se tourmente. Il m’est arrivé plus d’une fois, en pareil cas, de tirer jusqu’à trente livres de sang en huit ou dix heures, et le succès a constamment couronné mes efforts. C’est sur l’état du pouls que le praticien doit se guider. — On parvient à calmer les douleurs auxquelles l’animal est en proie, en lui administrant, dès le début, des antispasmodiques et des opiacés. J’ai souvent employé avec succès, dans ce but, l’élixir calmant de M. Lelong[1], à la dose de quatre à six onces dans une bouteille d’eau tiède. A son défaut, on peut administrer l’éther à la dose d’une once dans une bouteille d’eau froide ; mais il ne faut pas abuser de ces moyens, et il faut promptement leur faire succéder les breuvages simplement adoucissans (n° 5) ; on en donne une bouteille de demi-heure en demi-heure, jusqu’à ce que le mieux se prononce. — En même temps que l’on saigne, et que l’on fait avaler des breuvages, on fait sur les quatre membres d’énergiques frictions sèches, auxquelles on fait succéder des frictions avec l’essence de térébenthine ; on renouvelle ces frictions comme les saignées. — Enfin on administre fréquemment des lavemens émolliens tièdes (n° 7), dont l’action, combinée à celle des moyens que je viens de décrire, ne peut manquer de produire de bons effets. Du reste, il faut supprimer avec soin les médicamens incendiaires, les promenades, ou plutôt les courses forcées, prescrites par un grand nombre de prétendus guérisseurs. Lorsque ce traitement a amené du mieux, on laisse l’animal à une demi-diète, aux barbottages et au repos pendant quelques jours : bientôt la guérison est complète.

§ III. — Vertige abdominal (indigestion vertigineuse, vertigo).

Le nom de vertige, du mot latin vertere, qui signifie tourner, a été donné à une maladie du cheval, caractérisée par une singulière tendance de l’animal malade à se porter en avant, à pousser au mur, comme on dit vulgairement, et à tourner sans cesse lorsqu’on le tient attaché à un piquet avec une longe. Le vertige peut dépendre d’une inflammation primitive du cerveau et de ses enveloppes ; il porte alors le nom de vertige essentiel ; cette maladie peut encore dépendre d’une irritation de l’estomac, ou plutôt d’une violente indigestion ; dans ce cas, qui est beaucoup plus fréquent que le précédent, l’affection porte le nom de vertige abdominal. Occupons-nous d’abord de cette dernière nuance.

Causes. Les principales sont : les excès d’alimens après de longues privations, l’usage des fourrages nouvellement récoltés, qui n’ont pas encore jeté leur feu ; des alimens avariés, des feuilles de vigne, d’if, des bourgeons déjeune bois, de l’avoine trop nouvelle ou falsifiée, du sou donné en trop grande quantité ; en un mot, l’action de toutes les causes qui peuvent donner lieu aux indigestions (voyez ce mot).

Symptômes. La maladie qui nous occupe est généralement annoncée par des douleurs abdominales ; l’animal frappe du pied, il est triste, ne mange pas, et regarde son ventre comme cela a lieu dans les indigestions ordinaires. A ces premiers symptômes succèdent bientôt ceux qui indiquent que le cerveau participe à la maladie ; les sens deviennent obtus, l’état

  1. M. Lelong, pharmacien-vétérinaire des écuries du roi, et de l’école d’Alfort, rue Saint-Paul n° 36, à Paris. Je ne saurais trop recommander l’officine de cet excellent et consciencieux pharmacien.