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liv. ii.
CULTURES INDUSTRIELLES : DE LA VIGNE ET DE SA CULTURE.


ce plant est d’une nature délicate, il craint le voisinage des espèces vigoureuses et demande a être tenu bas et à être provigné souvent. Il exige en outre une terre un peu forte et qui ait du fond ; dans les terres maigres, il ne produit presque rien et ne dure pas longtemps. Il a quelques variétés dont les plus fécondes sont toujours inférieures en qualité. Parmi celles-ci, le Liverdun s’est acquis une réputation par son étonnante fécondité qui s’unit avec une qualité assez bonne.

Le Pineau gris, Griset, Petit gris, Burot en Bourgogne, Fromenteau en Champagne, Auxois ou Auxerrois en d’antres lieux, Malvoisie dans le vignoble de Joué près Tours, est aussi le Tokai des bords du Rhin ainsi que dans quelques localités du Midi ; il est généralement estimé, mais surtout dans les vignobles de la Meuse et du Rhin. Bosc affirme, ainsi que les propriétaires du Midi, que c’est bien le plant le plus cultivé dans le vignoble de Tokai en Hongrie. Je l’ai fait venir du Bas-Rhin, des Bouches-du-Rhône et de l’Ardêche, et il s’est trouvé parfaitement identique avec le Malvoisie de Touraine qui n’est pas celui du midi, ni aucun de ceux de l’Espagne. Ce cépage contribue pour beaucoup à la délicatesse des délicieux vins de Sillery et de Versenai en Champagne, selon Bidet, auteur champenois. La couleur de raisin est d’un rouge clair ardoisé qui le fait facilement reconnaître. Son bois est mince et se soutient mal.

Le Pineau blanc, aux environs de Dijon, Plant doré blanc sur les bords de la Marne, Arnoison blanc près de Tours, accompagne dans tous les bons vignobles les deux précédens. Employé seul ou accompagné de quelques autres en petite quantité, il contribue le plus à l’excellente qualité des vins de Chablis, de Mont-Rachet ; l’époque de sa maturité est la même. Quoique le bois ne soit pas gros, il est dur et se soutient bien.

Sans dénier à la nature du terrain ainsi qu’au climat tempéré sous lequel ils parcourent le cercle de leur végétation, leur part d’influence, on peut dire que ces trois plants, dans la réunion desquels il est convenable que le premier domine, et quand les autres circonstances nécessaires y concourent, donnent partout d’excellent vin : en Bourgogne, en Champagne, où ils font le fonds des vignobles les plus estimés pour la délicatesse des vins qu’ils fournissent ; sur la Meuse et dans le Jura, ainsi que dans une ou deux communes près de Tours ; mais ils ne sont pas également recommandables par la durée de leur conservation. Disons en passant, et dans la crainte d’omettre cette observation importante, que si quelques propriétaires se sont plaints de ce que ces plants traités à part ne leur ont donné qu’un vin inférieur à celui obtenu d’autres variétés, c’est, en premier lieu, que le Meunier, qui passe à tort pour un plant noble, dominait dans la vigne, et ensuite qu’ils laissaient cuver la vendange aussi longtemps que celle du côt ; ce qui ne lui convient nullement. Ces propriétaires ignorent qu’en Bourgogne la vendange de ces mêmes plants ne cuve que 2 à 3 jours.

Malheureusement on y réunit souvent le Meunier, connu presque partout sous ce nom à cause de la poussière cotonneuse qui garnit ses feuilles, surtout celles qui viennent de se développer. Il est connu aussi sous le nom de Plant de Brie. Il donne un vin plat, de peu de garde et de peu de couleur, mais il mûrit de bonne heure et coule rarement ; il est aussi plus robuste que les trois premiers ; aussi gagne-t-il chaque année du terrain à leurs dépens, et d’autant plus qu’ils sont très-peu productifs : c’est la seule considération qui restreint de plus en plus leur culture et les a fait supplanter par le Gamet.

Gamet, cépage fécond, à grappes abondantes, grosses et bien fournies, qui passe heureusement le moment critique de la floraison, et est moins sensible à la gelée ; mais il fait un vin dur et sans corps, sans chaleur, sans bouquet et d’une durée encore d’autant moindre que le vin qu’il donne est ordinairement le produit d’une vigne très-fumée, car il n’est pas robuste et s’épuise aisément. La substitution de ces plants d’une nature grossière a, depuis une quarantaine d’années, considérablement altéré la qualité des vins de Bourgogne. Les regrets seraient moins fondés, et le profil ne serait guère inférieur, si, au lieu du Gamet justement proscrit par les anciens ducs de Bourgogne qui, dans leur édit de proscription, le traitent d’infâme, on avait fait choix du Plant du roi, ainsi nommé aux environs de Paris, Quille de coq dans les vignobles d’Auxerre, San Moireau à Orléans et sur les bords de la Marne, Auxerrois, Pied de perdrix dans le Lot, Pied rouge (Lot-et-Garonne), Côte rouge dans la Dordogne, Bourguignon vers la Meuse, Côt en Touraine et en Poitou. Le vin qu’il produit est d’une couleur riche et a beaucoup de corps ; ce qui permet aux marchands de le mêler, avec profit pour eux et sans détérioration pour la liqueur, à des vins blancs qui lui communiquent un peu de spirituosité dont il manquait. La solidité est aussi un mérite qui lui est reconnu. Il joint à ces avantages celui de convenir plus que tout autre par sa vigoureuse végétation aux terrains les plus médiocres ; d’être presque exempt de l’accident si fréquent des gelées printanières, parce qu’il est fort tardif à la pousse, quoiqu’il ne le soit pas à la maturité ; et de pouvoir se passer d’échalas, parce qu’il porte bien son bois et que ses grappes sont composées de raisins gros, peu serrés, et peu sujets à la pourriture même par les temps humides. Son seul défaut qui est grave, c’est d’être fort sujet à la coulure lors de la fleur. C’est lui qui fait le fonds des vignobles de la côte du Cher, de l’Indre et du Lot. Ce cépage, fort remarquable, a plusieurs variétés : celle à pédoncule et pédicèles rouges ; celle à pédoncule et pédicèles verts, qui est plus recherchée, parce qu’elle tient mieux à la fleur, et une variété nouvellement introduite en Touraine, nommée Côt de Bordeaux. La maturité des uns et des autres est toujours sûre, suivant de très-près celle des plus hâtifs.

Breton ou Carbenet. — Il est un autre plant très-répandu dans les deux arrondissemens contigus, quoique de départemens différens, de Chinon et de Châtellerault ; il est connu sous le nom de Breton ; nous le retrouvous