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chap. 9e
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DE LA VIGNE ET DE SA CULTURE.


nom de vin de Pineau. car ce sont des plants de vigne connus sous ce nom qui les produisent exclusivement ; nous l’avons reconnu, après une confrontation que nous pouvons faire depuis 25 ans, pour être le même que l’ugne lombarde du Languedoc ; et, sous l’un et l’autre nom, il produit, dans chaque pays, un vin fort distingué, quoique bien différent. Mais qui refuserait de convenir que la modification que ce cépage a pu subir par le changement de climat est tout à son avantage ? Nous avons reconnu aussi que le Picardan du même pays est très-commun dans l’arrondissement de Tours, sous le nom de Sudunais. Si le vin n’en est pas estimé, c’est qu’il est très-mêlé avec d’autres, et qu’il n’est guère cultivé séparément que par les paysans à cause de son abondance. Plusieurs variétés transportées d’Espagne en France, telles que le Mataro, le Morastel, la Crignane, y ont eu le plus grand succès, mais par-dessus tout le cépage nommé Grenache ou Alicante en France, Arragonais noir aux environs de Madrid, plant tiré de la Catalogne où il est fort estimé, et transporté dans quelques-uns de nos départemens du midi où il produit aussi un vin d’une qualité supérieure. Ce même plant a déjà été introduit avec le plus grand succès dans le département de Lot-et-Garonne ; ainsi il est douteux qu’il ait rien perdu de ses bonnes qualités en allant du midi au nord. Si le chasselas, comme nous le dit Chaptal, apporté en France des îles de l’Archipel, n’a donné qu’un mauvais vin, pourra-t-on affirmer que la modification qu’il a éprouvée soit une vraie dégénération, quand on sait que ce raisin, délicieux à Paris et dans nos provinces du centre, est au-dessous du médiocre dans les départemens des Pyrénées ? du moins je tiens ce fait d’un homme qui mérite la plus grande confiance (M. Jaubert de Passa).

Si l’on considère en outre que les variétés précieuses qui peuplent les vignobles de Bourgogne et de Champagne sont originaires de pays plus méridionaux, la prétention de la plupart des œnologues qu’il ne faut pas faire venir dans le Nord des plants du Midi, mais au contraire les porter du Nord au Midi, ne paraîtra guère soutenable, surtout si l’on ajoute que plusieurs plants, notamment de la Navarre, la Colgadera et le Tempranillo[1], transportés de la Navarre en Andalousie, y ont perdu leurs bonnes qualités, comme nous l’atteste D. S. Roxas-Clemente.

La seule considération à laquelle on soit forcé d’avoir égard, c’est la faculté de maturation, dans les années ordinaires ; car il est certain que plusieurs des variétés cultivées dans le midi ne mûrissent pas suffisamment pour faire un vin de bonne qualité, à quelques degrés plus au nord : nous connaissons même un plant, le Carbenet du Médoc, presque exclusivement cultivé sous le nom de Breton dans l’arrondissement de Chinon, où il produit une très-bonne qualité de vin, et qui n’a pu être introduit avec succès dans l’arrondissement de Tours, même département, par sa difficulté d’atteindre une complète maturité. Nous attachons quelque importance à ces observations, parce que la plupart des auteurs, en entraînant leurs lecteurs dans un système qui ne nous a jamais paru avoir la moindre solidité, parviennent à les détourner de la véritable voie de perfectionnement ou du moins d’amélioration.

Il est encore un autre point sur lequel je diffère d’avis avec Bosc, qui porte le nombre des variétés à un nombre infini dont il connaît déjà, dit-il, plus de deux raille. Pour moi, j’ai beaucoup de peine à croire que ce nombre ne se trouve pas limité entre deux ou trois cents, et j’appuie mon opinion sur l’établissement horticole des frères Audibert, à Tarascon, où sont cultivées à peu près toutes les variétés qui existent en France, et une partie de celles d’Espagne et d Italie. Leur catalogue en porte à la vérité 330 variétés sur lesquelles j’en ai reconnu plusieurs sous des noms différens. entre autres une espèce qu’il dénomme Tokai, que j’ai fait venir de chez eux et de chez M. de Bernardy, de l’Ardêche, et que mon vigneron a sur-le-champ reconnu pour être le cépage que nous appelons en Touraine Malvoisie, en Bourgogne Pineau gris, en Champagne Fromenteau, ce que j’ai constaté à la fructification. Je pourrais encore citer le véritable Pineau de Bourgogne que j’ai fait venir des bords de la Marne, de l’Yonne, du Jura et de l’Ardêche, sous des noms différens inscrits au même catalogue. Je les ai tous plantés le long de ma vigne noble, appellation propre aux plants fins de Bourgogne dans le canton que j’habite, et je défie le plus habile vigneron de trouver la moindre différence avec le plant ou cépage que nous connaissons sous le nom d’Orléans ou petit arnoison noir.

Maintenant nous allons procéder à la nomenclature des cépages,qui, par leur pluralité évidente dans nos meilleurs vignobles, contribuent le plus puissamment à déterminer la bonne qualité du vin qui en est le produit.

Pineau : Le Pineau noir, ainsi nommé en plusieurs départemens, Noirien, Morillon en Bourgogne, Petit plant doré en Champagne, Auvernat à Orléans, Petit Arnoison noir ou Orléans aux environs de Tours, est partout reconnu pour donner le meilleur vin, et il n’a pas dégénéré sous des latitudes bien différentes, puisque c’est lui qui peuple presque en entier les vignes qui produisent le fameux vin du Cap. Son seul défaut est d’être très-peu productif, défaut qui en réduit progressivement la culture, et la restreint aux vignobles des riches propriétaires qui se dédommagent de la médiocrité de la récolte par le haut prix qu’ils en retirent. Ses grappes sont tassées, petites, composées de grains violets, légèrement oblongs et assez serrés quand ils ne sont pas entremêlés de très-petits grains, ce qui arrive assez souvent. La couleur du vin, après le cuvage, est d’un rouge brillant, mais peu foncé ; son bois est menu, et serait traînant, s’il n’était pas ordinairement soutenu par des échalas ou paisseaux. Comme

  1. On pourra voir dans quelques années quelle modification ils auront subie par leur transport d’Andalousie en Touraine. Car ces deux variétés sont du nombre de celles qu’un propriétaire a plantées dans une vigne qu’il a consacrée aux plants étrangers.