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liv. ii.
CULTURES INDUSTRIELLES : DE LA VIGNE ET DE SA CULTURE.


ne boit vraiment avec plaisir qu’un petit verre de Malaga ou de Madère, tandis qu’on se laisse aller facilement à vider une bouteille de Bordeaux, ou de Bourgogne, et plus gaiment encore de Champagne. Il est donc certain que les climats chauds, en favorisant la formation du principe sucré, produisent des vins plus corsés et plus généreux, mais que notre climat tempéré verse en abondance dans le commerce des vins d’une plus facile consommation par leur délicatesse et par leur légèreté, qualités qui compensent bien et au-delà la moindre proportion de corps et de spirituosité. Et comme la France a aussi ses vins de liqueur, qu’elle en a aussi qui pèchent par excès de corps et de spirituosité, ce qui oblige de les attendre un quart de siècle pour les boire agréables, tels que les vins de Roussillon, on peut dire qu’elle est le pays qui produit la plus grande variété d’excellens vins ; la consommation en serait encore plus grande si les propriétaires renonçaient à sacrifier la qualité à l’abondance, double avantage dont la réunion a été démontrée incompatible, et s’ils apportaient autant de soins pour obtenir la première qu’ils en prodiguent pour l’autre.

Le climat de la France convient généralement à la vigne ; toutefois il y a de nombreuses exceptions dans la zone septentrionale, qui forme au moins le quart du pays, et même dans la plupart des départemens sur les parties les plus élevées ; quoique la vigne puisse y végéter, la chaleur n’a pas assez de force pour mûrir le raisin. C’est par cette raison que la culture en est très-réduite dans les départemens de la Lozère, de la Haute-Loire, du Cantal, dans l’arrondissement d’Ussel (Corrèze), et dans la partie nord de l’arrondissement de Tours qui est aussi la plus élevée. Dans les départemens du midi, la vigne végète avec plus de force, les souches et les sarmens sont plus gros ; ce qui peut tenir aussi au plus grand espacement et à la nature des variétés qu’on y cultive ; mais ce qui est bien l’effet incontestable du climat, c’est la maturité du raisin qui y est chaque année plus complète, et la chaleur sèche qui y règne à l’époque des vendanges, laquelle permet aux raisins de rester longtemps sur le cep, sans tourner à la pourriture, et les dispose plus facilement à être convertis en une liqueur douce et liquoreuse. Aussi les vins de cette nature sont-ils produits en plus grande abondance dans les départemens des Pyrénées-Orientales, du Gard, de l’Hérault, du Var, et des Bouches-du-Rhône, qui joignent à leur latitude méridionale une moindre élévation du sol au-dessus de la mer.

Parmi les autres causes que le climat, qui influent sur la nature du vin, nous en distinguerons de plusieurs sortes : les unes sur lesquelles nous ne nous arrêterons pas, parce que ce sont des conditions qu’il faut subir, puisqu’elles proviennent de circonstances indépendantes de l’action de l’homme, telles que les variations subites de l’atmosphère, la continuité d’une température humide, ou les rigueurs d’une température extraordinaire ; d’autres qui peuvent être regardées comme une dépendance fortuite de cette même action, telles que le choix du terrain et son exposition, car ce choix est souvent très-borné ; nous appuierons davantage sur celles qui, étant tout-à-fait dans la dépendance de l’homme, appellent par cela même une insistance plus grande. La préparation du terrain, le choix du plant, le mode de plantation, tous les soins de culture et d’entretien de la vigne, formeront donc autant d’articles divers de ce chapitre. Quant aux détails et aux soins de la fabrication, et aux divers procédés employés selon la nature du vin que l’on se propose d’obtenir, ainsi que la confection des vaisseaux vinaires, et le traitement du vin jusqu’à sa mise en bouteilles, ces matières sont l’objet d’un des chapitres de la division des Arts agricoles.

Pour procéder avec méthode, nous nous mettrons à la place d’un propriétaire qui veut planter une vigne, non seulement dans l’intention de son approvisionnement particulier, mais aussi dans le but de partager l’honneur et le profit que la future réputation de son vignoble doit lui donner. Nous allons donc nous occuper d’abord du choix du terrain, en laissant à la position et à l’exposition, dont nous traiterons après, la part d’influence qu’elles méritent sur notre détermination. Viendra ensuite l’intéressante considération du choix du plant, qui amènera la nomenclature raisonnée des plants de vigne qui contribuent le plus puissamment aux premières qualités des vins les plus renommés du royaume. Nous passerons aussitôt à l’opération fondamentale de la plantation ; et nous suivrons les procédés de culture jusqu’à la récolte, en faisant un article à part des amendemens convenables au terrain, et des engrais les moins pernicieux à la qualité du vin

§ II. — Terrain qui convient à la vigne.

Tout le monde s’accorde à reconnaître l’importance de la nature appropriée du terrain ; plusieurs auteurs même en font la condition principale. Tout champ qui a 10 nu 12 à là pouces de terre végétale, douce, légère, naturellement perméable ou rendue telle par un mélange calcaire ou son mélange naturel avec une grande quantité de cailloux ou de pierrailles, est propre à recevoir la vigne, surtout si la surface est légèrement convexe et si elle a une inclinaison sensible à l’horizon ; le sol étant composé d’élémens divers en proportion très-variable, on trouverait difficilement deux champs d’une certaine étendue dont la formation soit parfaitement identique dans les 20 à 25 pouces (60 à 80 centimètres) de profondeur, qui peuvent être regardés comme ayant une action directe sur les productions de la vigne, et, parmi tous ces sols, il en est bien peu qui ne soient propres à sa culture, abstraction faite de la situation dont nous parlerons après ; il faut seulement en excepter les deux extrêmes, l’argile pure et le sable, ainsi que les terres riches, profondes, les plus avantageuses à la culture du blé. — Il arrive quelquefois qu’une argile maigre domine, et rend la terre battante, on devrait dire comme bat-