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liv. ier.
AGRICULTURE : AMENDEMENS.

quantité notable il stérilisait le sol ; ainsi, nous dit la Bible, Abimelech s’étant rendu maître de Sicem, détruisit cette ville de fond en comble et sema du sel sur l’emplacement qu’elle occupait.

Dans les temps modernes, les Anglais ont beaucoup plus étudié cette question que nous ; le chancelier Bacon a constaté, par ses expériences, l’emploi avantageux de l’eau salée en agriculture : plus tard Brownrigg, Watson et Cartwright ont confirmé par leurs expériences l’efficacité du sel sur la végétation ; les Sociétés d’agriculture ont ouvert des concours, et Davy, Sinclair, Johnson et Daore en ont vérifié, approuvé et conseillé l’emploi. — Dans le comté de Cornwall, les composts du sel impur des sécheries avec le sable de mer, la terre, le terreau ou des débris de poissons, sont fréquemment employés, et les fermiers du Cheshire, nous dit Davy, leur attribuent l’abondance de leurs récoltes. Dans l’île de Mann, l’emploi du sel sur le sol détruit la mousse des prairies. La composition ordinaire des composts pour les prairies est de 20 voitures de terre et 14 hectolitres de sel par hectare.

Dans plusieurs cantons de pays à cidre, on rend plus robustes et plus fertiles les pommiers en enfouissant autour et à quelque distance de la tige une petite dose de sel marin ; les greffes et boutures qu’on expédie au loin, trempées dans l’eau salée, reprennent plus facilement à leur arrivée.

Le gouvernement anglais, à la demande de l’agriculture, fait mêler avec de la suie et vend à plus bas prix les sels qu’on lui demande pour employer sur le sol. En Allemagne, où il y a moins de littoral, et où le sel est plus rare et plus cher, cette question a moins occupé ; cependant en Bavière, le roi a ordonné qu’on vendit à bas prix tout le sel employé en agriculture, soit pour les bestiaux, soit comme amendement.

En France, une foule de faits appuient aussi l’efficacité, sur certains sols, du sel comme amendement. La grande fécondité produite par les engrais de mer est sans doute souvent due aux sels qu’ils contiennent, et cela est encore plus évident pour les cendres de Pornic, dans la composition desquelles on fait entrer les dessus des monceaux de sel, et qu’on arrose soigneusement pendant tout l’été avec de l’eau salée. L’usage du Morbihan d’arroser le fumier avec l’eau de mer ne s’est sans doute établi que sur la preuve donnée par l’expérience de l’efficacité du sel allié au fumier. Enfin le grand effet du varech, du goémon et de leurs cendres qui contiennent peut-être moitié de leur poids de muriate de soude ou de soude, vient encore à l’appui. Dans quelques cantons du littoral, on sème à la fois la soude (Salsola soda) et le froment dans des terrains salés envahis quelquefois par les eaux de la mer. Lorsque des pluies viennent diminuer la quantité de sel, le froment devient très beau et la soude reste faible ; lorsque les pluies sont peu abondantes, la soude grandit alors aux dépens du froment.

Lorsque le sel n’est pas très-abondant, il favorise la végétation et donne des produits d’excellente qualité ; les prés salés sont en réputation pour la quantité, la qualité de leurs fourrages et l’engrais de leurs moutons. J’ai habité quelque temps en Picardie près des pâtures souvent envahies par les grandes marées : lorsque les pluies viennent laver la surface et entraîner la trop grande portion de sel, leur produit fournit un pâturage abondant et d’excellente qualité.

Expériences sur l’action des sels sur la végétation. — Aucun écrit ne démontre mieux cette action, ne précise mieux la quantité des doses nécessaires et la plupart des circonstances de leur emploi que les expériences de M. Lecoq de Clermont ; il a fait faire un grand pas à la question générale et particulière de l’emploi des diverses substances salines que la nature et l’industrie offrent à l’agriculture. Nous allons donc faire connaître les résultats de ces expériences, en nous bornant toutefois aux faits spéciaux et précis qui intéressent le plus la pratique agricole.

Sur un champ d’orge, en bonne terre franche, fumée l’année précédente, il a divisé un espace de 8 ares en huit lots égaux ; sur les six premiers il a répandu, à la fin d’avril, des doses progressives de sel marin, et il n’a rien mis sur les nos 7 et 8.

Tableau des opérations et des résultats.
Numéros Doses de sel Produits en grains
1 1 1/2 30
2 3 29 1/2
3 5 33
4 6 41
5 9 35
6 12 48
7 00 28
8 00 31

Le no 1er qui n’avait reçu qu’une livre et demie, a différé peu de ceux qui n’ont rien reçu ; le no 2 avait la paille plus longue, l’orge plus touffue ; le no 3 devenait encore meilleur ; no 4, végétation très-vigoureuse, paille surpassant de 10 pouces les nos non salés, et de 4 pouces ceux plus ou moins salés que lui : les épis étaient en outre plus gros, plus longs et plus fournis que lui ; no 5, inférieur au no 4, se rapprochant du no 2, mais plus élevé que lui ; no 6, la plus forte dose, semble malade malgré son produit en grains assez fort ; sa paille n’est pas plus grande que celle des nos non salés.

Il résulte de ces expériences que la dose la plus productive pour l’orge serait de 6 liv. (3 kil.) par are, ou de 6 quintaux (300 kil.) par hectare ; l’are qui a reçu 6 liv. a produit de plus que les nos 7 et 8, qui n’avaient rien reçu, 11 liv. de grains ou 11 quintaux par hectare, ou plus de trois fois et demie la semence, qui est en moyenne de trois quintaux par hectare.

Cette expérience, avec les mêmes données, a été faite en même temps sur un champ de froment en sol un peu maigre, léger et élevé ; les résultats se sont montrés presque les mêmes, malgré les différences de sol, de position et de plantes ; cependant il y avait peu de différence entre les no 3 et 4, dont le premier avait reçu 4 livres et demie, et le second 6 liv. de sel par are.

La dose la plus convenable pour le froment