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liv. ier.
AGRICULTURE : AMENDEMENS.


successivement, et elle est maintenant, après 40 ans de marnage, réduite à quatre pour un ; ceux qui n’ont pas vu les récoltes avant le marnage se plaignent de l’épuisement de leur sol, mais le produit brut est encore triple de ce qu’il était auparavant. Au reste, on trouve ici réunies toutes les circonstances qui devaient conduire à l’épuisement : fortes doses de marne très-riche et sablonneuse sur un sol aride, graveleux et peu consistant ; une culture sans fourrages, une suite presque exclusive de récoltes épuisantes. Aussi il en est résulté que sur les parties les plus sèches et les plus arides de ce sol qui ne peut presque nourrir aucun arbre et à peine des taillis, le terrain est encore devenu plus sec, et qu’avec des récoltes de grains d’hiver d’une valeur double des anciennes, il est vrai, les récoltes de printemps et les trèfles surtout craignent encore davantage la sécheresse. L’opération du marnage, qui pourrait se répandre avec de si grands avantages sur une étendue décuple au moins du même sol depuis Genève jusqu’à la mer, sur le Bugey, la Valbonne, les plaines de Valence, les garrigues du Comtat, la plaine de la Crau, commence à peine à se répandre hors de quelques cantons de l’Isère : les essais suivis de succès dans l’Ain et la Drôme ont pris peu d’extension.

Les marnes du grand plateau argilo-siliceux qui couvrent une partie de l’Ain, de Saône-et-Loire et du Jura, sont argileuses et contiennent de 30 à 40 p. 0/0 de carbonate de chaux ; leur efficacité a été révélée par un cultivateur de l’Ain. Il y a 40 ans, l’habitude ancienne d’amender le sol avec de grandes masses de terres charriées sur la surface a provoqué à des marnages très-abondans ; ils ont commencé par être d’une couche de 15 à 18 lignes (3 à 4 c.m.) sur toute l’étendue, comme les terremens ordinaires. Cette dose a été réduite d’abord d’un tiers, puis de moitié, quantité encore énorme, puisque dans le pays, où les labours ne sont que de trois pouces au plus, le marnage forme un quart ou le tiers même de la couche labourable.

Les cultivateurs voisins de Saône-et-Loire ont imité ces marnages mais sans en prendre l’abus ; ils ne donnent à un sol analogue qu’un quart de cette quantité d’une marne qui n’a souvent que 30 p. 0/0 de carbonate de chaux, et les marnages sont moins durables sans doute, mais sont aussi productifs que dans l’Ain.

Les fortes doses de marne ont nui en quelques lieux ; dans le sol très-argileux, la ténacité du terrain a été accrue, et on a eu plus de peine à le travailler ; le blé noir et les pommes-de-terre y ont moins bien réussi ; et dans les sols légers et les sables, sans améliorer beaucoup la consistance, on a rendu le sol trop chaud et multiplié les coquelicots et les rhynanthus.

Nous trouvons en Sologne une leçon frappante de l’amélioration des terrains légers et sablonneux par la marne : la dose de marne argileuse, analogue dans sa composition et toutes ses apparences à celle de l’Ain, est de 240 à 300 pieds cubes par hectare, et cette dose, de 2/5es de ligne sur la surface, suffit pour féconder le sol pendant 10 ans.

[3:2:2:3]

§ iii. — De la dose de marne à donner au sol.

Au milieu de tant de procédés on peut toutefois arriver, pour les sols de consistance moyenne, à une dose rationnelle de marne qui se modifie ensuite suivant la nature du sol : c’est un grand service à rendre à la pratique qui manque sur ce point de direction précise.

Le but du marnage est d’amener le sol à avoir les qualités et les avantages des sols calcaires. Or, l’analyse des meilleurs sols calcaires, des meilleurs sols de Flandre entre autres ; la pratique des pays où le marnage est le plus ancien et le mieux raisonné ; les doses que conseille Thaër ; le résumé des marnages nombreux que donne Arthur Young, nous a mis dans le cas de conclure, dans l’Essai sur la marne[1], que la proportion de 3 p. 0/0 en moyenne de carbonate de chaux dans la couche labourable doit suffire : mais la marne plus ou moins riche, et les labours plus ou moins profonds donnent une couche labourable plus ou moins épaisse ; avec la proportion fixe de carbonate de chaux que nous avons admise, les doses de marne doivent donc varier suivant la richesse de la marne et les profondeurs du labour.

Pour faciliter l’application de cette donnée d’expérience et de raisonnement, nous donnons un tableau qui renferme tous les élémens du marnage, et dont il sera facile de faire usage ; il est fait pour toutes les compositions de marne depuis 10 p. 0/0 de carbonate de chaux jusqu’à 90, et pour toutes les couches labourables depuis trois pouces jusqu’à 8 ; en prenant des moyennes intermédiaires on aura pour toutes les profondeurs de labours et pour toutes les qualités de marne, le nombre de pieds cubes à charrier sur un hectare : les pieds cubes s’évalueront d’après la capacité des tombereaux, parce que la marne, en se délitant sur le sol, prend autant de volume qu’elle en occupe dans le tombereau au moment de l’extraction.

Nombre de pieds cubes de marne nécessaire à une couche labourée d’une épaisseur de

Lorsque 100 part. de marne contiennent en carbonate
de chaux :
3 po. 4 po. 5 pouc. 6 pouc. 7 pouc. 8 pouc.
Pieds
cubes.
Pieds
cubes.
Pieds
cubes.
Pieds
cubes.
Pieds
cubes.
Pieds
cubes.
Parties.
7,106 9,474 11,842 14,212 16,580 18,948 10
3,553 4,737 5,921 7,101 8,290 9,424 20
2,368 3,158 3,947 4,737 5,527 6,316 30
1,776 2,368 2,860 3,552 4,144 4,736 40
1,420 1,880 2,350 2,820 3,290 3,720 50
1,178 1,570 1,962 2,354 2,748 3,140 60
1,020 1,360 1,700 2,040 2,380 2,720 70
888 1,184 1,480 1,776 2,072 2,368 80
775 1,032 1,292 1,550 1,809 2,027 90

Mais cette dose moyenne doit encore varier dans beaucoup de cas : si la marne est argileuse dans un sol très-argileux, la dose doit être diminuée. Il en est de même surtout à mesure que le sol devient plus léger,

  1. 1 vol. in-8o. Paris, chez Mme Huzard.