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chap. 3e.
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DU MARNAGE.

Lorsqu’on a trouvé la marne, ou ce qu’on croit en être, car rien ne simule mieux la marne terreuse que certaines argiles, on s’assure de sa nature en la touchant avec de l’acide nitrique, muriatique ou même de fort vinaigre ; un mouvement d’effervescence annonce de la marne, mais on n’a que de l’argile si l’acide s’étend sans boursoufflement. D’autre part, si on jette dans l’eau un morceau de marne sèche, il y a sur-le-champ une légère ébullition, ses molécules s’écartent l’une de l’autre comme repoussées à distance, et elles tombent en bouillie au fond du vase ; c’est là encore un des caractères spécifiques qu’elle communique au sol à un haut degré.

Tous ces caractères ne se rencontrent pas au même degré dans la marne pierreuse ou dans la marne argileuse : la marne pierreuse a souvent besoin sur le sol du secours des gelées pour se déliter.

Sols auxquels la marne convient. — La marne agit par le carbonate de chaux qu’elle porte au sol, car l’argile seule ne produit sur le sol qu’un effet mécanique ; la plus petite quantité du principe calcaire se fait sentir au sol qui n’en contient pas, mais dans les sols calcaires son emploi est le plus souvent nuisible. L’emploi sur le sol de quelques tombereaux de marne, avant la semaille d’hiver ou de printemps, décide mieux la question que tout autre essai.

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§ ii. — Procédés de marnages dans divers pays.

Il y a encore plus de variations dans les marnages que dans les chaulages. Le plus souvent, dans un pays, les marnages sont dus au hasard : des terres de fouille, de fossés, de puits, ont été épanchies sur le sol, y ont produit une fécondité inattendue ; si le cultivateur est actif et entreprenant, il étend l’opération à ses autres fonds, et s’il inspire de la confiance à ses voisins, les marnages se propagent ; mais alors les procédés se règlent au hasard, et les doses sont presque toujours trop fortes, parce qu’on ne croit pas pouvoir trop donner au sol de cette substance fécondante.

Nous ne trouvons pas entre les marnages anglais et français les mêmes disparates que pour la chaux. Ce que nous devons surtout imiter des Anglais, c’est l’association du fumier à la marne ; souvent ils les réunissent en compost ; leurs doses de marne sont plus ou moins fortes, suivant qu’il s’agit de 1er  ou de 2e  marnages ; les 1ers sont de 4 à 5 lignes (9 à 12 mm.) d’épaisseur sur la surface, et les seconds du tiers au plus, et se succèdent tous les 15 ou 20 ans. Les doses varient ensuite suivant le plus ou moins de consistance des sols, la richesse ou la pauvreté de la marne. Dans quelques cantons on marne les pâturages et les prés non arrosés ; on emploie la marne pour accroître les fourrages et la chaux pour les grains. Le marnage a fait changer de face à plusieurs comtés ; le Norfolk, jadis couvert de bruyères et de landes, est devenu, par suite des marnages, la province modèle en agriculture. La marne pierreuse, sous le nom de graviers calcaires, féconde de grandes étendues. En Irlande, on en a mis sur le sol une quantité telle qu’on a tout-à-fait changé sa nature et qu’on ne sera plus dans le cas d’y revenir.

Les marnages en Flandre sont aussi anciens que les chaulages ; ils y sont devenus une opération régulière d’agriculture, et consistent en 22 voitures à deux chevaux par hectare, d’une marne pierreuse très-riche : cette dose équivaut à peu près à 500 pieds (17 m.,13) cubes par hectare, couvre à peine le sol de 2/3 de ligne (1 mm.5), et forme un centième de la couche labourable. Les arrondissemens de Bergues et de Hazebrouck l’emploient sur les deux tiers de leur surface, et les autres arrondissemens en usent en moins grande quantité parce qu’ils emploient plus de chaux. On tire la marne pierreuse des environs de St . Omer ; elle coûte de 4 à 6 fr. la voiture, parce qu’on va souvent la prendre à plus d’une lieue. On renouvelle les marnages tous les 20 à 30 ans : ce marnage coûte trois fois autant que le chaulage sur des fonds tout-à-fait analogues, c’est-à-dire de 4 à 6 fr. par hectare et par an en moyenne, tandis que le chaulage ne revient que de 1 fr. 50 c. à 2 fr.

Les marnages sur le plateau argilo-siliceux de la Puisaye (Yonne) sont faits avec une marne pierreuse et très-abondamment ; ils s’élèvent à 3,000 pieds (103 m.) cubes par hectare, forment une couche sur le sol de 4 lignes (9 mm.) d’épaisseur d’une marne qui contient 80 p. 100 de carbonate de chaux : cette abondance s’explique, parce que la marne se délite assez difficilement, et qu’un hiver et souvent même plusieurs années ne suffisent pas pour cela. Le marnage avait lieu sur quelques points de temps immémorial, aussi les doses n’y sont que du tiers ou du quart de cette quantité ; ils n’ont commencé à s’étendre que depuis 40 ou 50 ans : maintenant la surface est marnée presque tout entière, et le sol a triplé de valeur partout où il a reçu cette amélioration.

Les marnages des environs de Montreuil en Picardie couvrent le sol d’une ligne (2 mm.) d’épaisseur à peu près d’une marne précieuse qu’on extrait sous le sol même par des puits ; ce marnage, qu’on renouvelle tous les 20 ans, coûte 20 fr. par hectare.

Les marnages de la Normandie, ceux de la Haute-Garonne, ne nous apprendraient rien d’important ; ceux de l’Isère peuvent au contraire nous donner d’utiles leçons. Ils se font sur un sol de graviers siliceux avec une marne graveleuse qui appartient au sous-sol : ce sol fait partie de la grande alluvion de graviers siliceux rougeâtres qui couvre les 3/4 du fond du bassin du Rhône, et qui se compose de débris roulés des Alpes primitives liés entre eux par une terre rougeâtre. Ces marnages dus au hasard et faits avec une marne à portée, sont très-abondans ; ils couvrent le sol d’une couche de 4 à 5 lignes (10 mm.) d’une marne sablonneuse qui contient depuis 30 jusqu’à 60 p. 100 de carbonate de chaux. Cette quantité de marne jetée sur un sol aride double au moins ses produits : l’agriculteur avait presque sans fumier une récolte de seigle tous les deux ans qui triplait rarement la semence, maintenant il recueille, pendant 10 ou 12 ans après les marnages, 8 pour un en froment ; cependant la récolte a baissé