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AGRICULTURE : DES ANIMAUX NUISIBLES.

Les sauterelles criquets (Acrydium migratorium, Oliv.), ont près de deux pouces de longueur, une tête verte ou brune, tronquée en devant ; il y a sur le front une ligue et de chaque côté une autre, également noirâtres ; les mandibules sont d’un noir bleu ; le corselet, brun ou verdâtre, est comprimé sur les flancs, avec deux lignes sur le dos et une tache de côté. Le ventre brun-gris tacheté porte une bande brunâtre sur ses côtés. Les élytres brun-clair sont marbrées de noir, et les ailes transparentes ont une teinte verdâtre ; les jambes rougeâtres, les pattes brunâtres et les grosses cuisses tachetées de noir complètent l’aspect de cette sauterelle de passage. On la rencontre en quelques parties de la France ; elle se laisse difficilement saisir. D’autres espèces offrent plusieurs rapports avec elle ; comme les Acrydium lineola, tataricum, italicum, biguttulum, si commun avec le stridulum, dont le cri ennuyeux semble sortir de partout dans les terrains secs et pierreux, et qui est notre criquet vulgaire.

Ces insectes marchent mal et lentement, mais sautent et volent très-bien. On ne peut trop redouter les légions innombrables qui émigrent en troupes si extraordinaires dans certains pays de l’Orient, de l’Afrique et de la Tartarie, dévastant, plus que ne ferait la flamme, toute la végétation des contrées au’ils parcourent, sans que les millions d’individus qu’on s’efforce d’écraser puissent porter remède à un tel fléau.

Souvent ces insectes sont poussés par les vents ; et au coucher du soleil, ils s’abattent comme une averse d’orage, en telles masses que les arbres se courbent sous leurs poids. Une fois les campagnes ravagées, les sauterelles ne trouvant plus rien, périssent de faim par millions, et cependant leurs femelles déposent leurs œufs en quantité incalculable. Leur fécondité en effet est si énorme, que parmi les lieux où elles s’abattent, l’on peut remplir des sacs, des muids entiers de leurs œufs dans une médiocre étendue de terrain. En 1613, un passage de sauterelles aux environs d’Arles, dévasta jusqu’à la racine plus de quinze mille arpens de blé en peu de jours ; malgré des nuées d’étourneaux ou d’autres oiseaux accourus, comme guidés par la Providence, pour les attaquer, on recueillit au-delà de trois mille boisseaux des seuls œufs ; chacune de ces mesures aurait donné près de deux millions de sauterelles, ce qui en fait environ six milliards. Ces sauterelles entraient jusque dans les granges et les greniers pour tout ravager. En 1780, à Boutzida, en Transylvanie, il fallut commander des régimens pour ramasser des sacs de sauterelles ; quinze cents personnes furent chargées de les écraser, de les brûler, de les enterrer ; il n’y paraissait pas de diminution jusqu’à ce qu’un froid aigu les frappa ; mais le printemps suivant, il se leva de nouvelles légions ; il fallut faire lever le peuple en masse pour détruire cette peste, et malgré tant d’efforts, une multitude de pays furent rongés à nu. On poussait avec de grands balais dans des fosses les masses de ces insectes qu’on étouffait ou brûlait en les retenant par des toiles tendues.

Dans plusieurs contrées d’Orient, après que ces insectes ont tout ravagé, les peuples désolés se jettent sur ces ennemis et les dévorent à leur tour. Les Bédouins les font griller à petit feu ; d’autres nations les font sécher, les réduisent en farine et en font une sorte de pain. On en vend au marché à Bagdad. Des Arabes acrydophages en tirent leur nourriture et les conservent dans du beurre, qui sert à les frire ensuite. D’autres les apprêtent avec de la saumure. Un homme en peut manger deux cents par repas ; leur chair a, dit-on, le goût du pigeon. Des enfans de nos contrées méridionales mangent parfois les cuisses de ces sauterelles.

Enfin, quand ces insectes, en masse, viennent à périr dans une contrée, leurs corps entassés se putréfient ; l’odeur infecte qui s’en exhale peut engendrer des épidémies ; les eaux qui en sont corrompues ont déterminé des maladies pestilentielles, soit pour les bestiaux, soit pour l’homme.

Les étés chauds et humides sont favorables à la multiplication des sauterelles ; les temps secs et sereins concourent à leurs voyages. Telle est leur facilité pour ronger les tiges de blé ou d’orge qu’elles semblent les avaler dans leur longueur ; on les a vues attaquer les gros arbres à défaut d’autre nourriture.

Il parait toutefois que d’immenses fumigations avec le soufre, les résines brûlantes, l’acide muriatique (hydrochlorique en vapeur) éloignent ces insectes comme plusieurs autres.

§ VI. — Des courtilières.

Ce sont d’autres orthoptères remarquables par leurs sortes de mains fouisseuses, par leur habitation souterraine et leur vie nocturne, mais très-dommageables parce qu’elles rongent les racines des plantes potagères et pondent jusqu’à trois ou quatre cents œufs luisans, jaunes, dans un terrier bien préparé. Ces œufs éclosent au bout d’un mois, et les jeunes courtilières gris-blanchâtres fourragent déjà les plates-bandes et les carrés les mieux cultivés. Cependant elles détruisent aussi des insectes malfaisans et des plantes inutiles, comme elles deviennent une proie très-friande pour les taupes. En plaçant des vases plats remplis d’eau près des nids de courtilières, celles-ci venant pour se désaltérer, s’y noient souvent. Ces nids se reconnaissent à un renflement du terrain et à la langueur des plantes qui croissent dessus. On peut creuser rapidement à la bêche pour enlever la couvée presque entière. L’eau de savon noir, l’huile rance, les dissolutions de foie de soufre surtout, éloignent ces insectes ; on en a purgé ainsi une garancière qui en contenait peut-être cent mille individus.

Nous avons vu dans la première partie de cet article, qu’il existe beaucoup d’autres insectes plus ou moins nuisibles à l’agriculture, mais nous avons dû nous borner à l’histoire des plus dangereux par leurs ravages.

J. J. Virey.

FIN DU TOME PREMIER.