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bonnes terres, nous en avons peu qui soient susceptibles d’être fauchées deux fois.

« Le sainfoin sec reste d’un beau vert, conserve une odeur agréable ; tous les bestiaux le mangent avec délices : c’est une nourriture fort saine et qui n’est pas indigeste comme la luzerne. Nous en donnons à nos chevaux à discrétion, sans le moindre inconvénient.

« La floraison durant près de trois semaines, la maturité des graines arrive graduellement. Celles du bas des épis se détachent et tombent, s’il fait du vent, quand celles du milieu sont à peine mûres, qu’un peu plus haut elles sont toutes vertes, et que les sommités présentent encore des fleurs à peine écloses. Si l’on fauche trop tôt, les graines stériles dominent ; si l’on fauche trop tard, on n’a pas demi-récolte ; il faut savoir choisir le moment convenable ; mais, quand on préfère la qualité à la quantité, à Saint-Hippolyte par exemple, où nous sommes jaloux d’avoir de la bonne graine, nous attendons que la floraison soit prête à finir. La réputation méritée de cette graine, ce qui fait qu’on la recherche dans cette commune, tient à cette précaution et à l’usage où nous sommes de réserver, pour le laisser grener, un pré de sainfoin ou le côté de ce pré le plus vigoureux, le plus beau, et toujours de la première année. Par ce moyen, non seulement les graines sont plus pures, mais celles qui mûrissent les premières, qui se détachent des épis et tombent en fauchant, ne sont pas perdues ; une partie du moins, si le temps la favorise, se trouve semée naturellement, et épaissit la prairie pour les années suivantes.

« On fauche le sainfoin de graine au commencement de juin, de grand matin, avec la rosée, afin qu’il s’égrène moins ; le lendemain, au milieu du jour, après avoir étendu les draps par terre, on y porte, avec une fourche de bois, une certaine quantité de sainfoin ; pour peu qu’on frappe dessus avec le même instrument, les graines s’en séparent ; on l’enlève et on l’entasse à côté pour recommencer l’opération sur une nouvelle quantité de sainfoin.

« Le sainfoin qu’on a laissé grener a les tiges plus dures, il a perdu ses feuilles et ses sommités, il est par conséquent moins succulent ; mais les mules s’en accommodent fort bien, quoique d’une qualité inférieure. Il ne vaut que le tiers ou la moitié du premier coupé.

« On garde les bœufs ou les mules dans les sainfoins fauchés, quand ils ont repoussé, en août ou en septembre. Les bêtes à laine broutent de trop près, on leur en défend l’entrée ; cependant, après les pluies d’automne, on y mène paître les brebis prêtes à mettre bas, et les jeunes agneaux. Les cochons doivent toujours en être éloignés.

« Les feuilles, les graines, les débris qui tombent au fond des greniers à foin, sont une nourriture appétissante pour les chevaux, en les criblant pour en enlever la poussière. Nous ne leur donnons pas cependant de la graine mûre au lieu d’avoine, comme on dit que cela se fait dans d’autres pays, parce qu’elle est plus chère.

« Au bout de 5 à 6 ans nos sainfoins dépérissent ; ils perdent en qualité comme en quantité, en ce qu’ils sont mêlés de mauvaises plantes. Nous sommes dans l’usage de les défricher ordinairement dès la quatrième année. Arthur Young attribue cette pratique à la brièveté des baux, à la mauvaise gestion des fermes, à l’ignorance de l’importance des bestiaux. Mais, calculons le revenu d’un sainfoin pendant quinze ans, en supposant qu’il ne dégénérât pas, et le produit en foin ou en froment et en légumes, si l’on change le pré artificiel trois fois de place dans ce même temps, le résultat est en faveur de notre méthode. Est-ce donc là une preuve que l’agriculture française est dans l’enfance, comme le célèbre agronome que j’ai cité a voulu le dire ? »

[18:4:3]

§ iii. — Des diverses autres plantes herbacées, cultivées ou propres à l’être comme fourrages.[1]

Le Jonc de Botnie (Juncus bottnicus), famille des joncées. — « On regarde généralement les plantes appartenant à la famille des joncées comme peu nutritives ; elles sont pour la plupart dédaignées du bétail et elles lui deviennent souvent préjudiciables ; cependant, comme partout, on trouve des exceptions. Le jonc de Botnie en est un exemple. Cette plante est recherchée avec avidité des moutons, des vaches et des chevaux, et, d’après l’expérience de toutes les personnes qui ont le bonheur d’en posséder une grande quantité dans leurs pâturages et leurs prairies, ces animaux s’en trouvent parfaitement bien. Il forme le gazon le plus fourré que j’aie jamais vu ; mais il ne se plaît que dans les terres riches en sel commun. La grande quantité de ce sel, que contient le jonc de Botnie, est ce qui le fait rechercher avec tant d’avidité par les moutons et par les autres bestiaux, et qui le rend si favorable à leur santé. On pourrait semer cette plante précieuse dans des pâturages humides ; en ayant soin d’amender le sol avec du sel, je suis persuadé qu’elle viendrait bien partout ; néanmoins les terrains calcaires et crayeux paraissent moins lui convenir… » Sprengel, Trad. des annales de Roville.

La Bistorte (Polygonum bistorta, Lin.), famille des polygonées, est cultivée comme prairie artificielle, dans une partie de la Suisse et du Jura. En général, elle est plus vigoureuse dans les localités humides que partout ailleurs ; cependant je l’ai vue réussir assez bien dans les terrains légers, mais richement fumés du Jardin des Plantes de Paris. Son fourrage, un peu dur, est assez abondant. Il parait convenir surtout aux vaches et aux moutons.

Le Sarrasin (Polygonum fagopyrum, Lin.), même famille. (Voy. page 393 et suivantes.)

  1. Les courtes descriptions qui ont paru jusqu’ici nécessaires pour aider à distinguer les genres nombreux et les espèces souvent fort voisines des mêmes genres de graminées et de légumineuses, maintenant qu’il ne sera parlé que d’espaces prises çà et la dans des familles fort différentes, ne présenteraient pas le même intérêt. Je les ai en conséquence supprimées. O. L. T.