Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1844, I.djvu/505

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ainsi que j’ai tâché de le démontrer en traitant des assolemens.

Section iii. — De l’étendue relative des herbages et du nombre de bestiaux nécessaires dans chaque exploitation.

S’il est vrai que les fourrages, de quelque nature qu’ils soient, sont une base indispensable de toute exploitation agricole, après avoir étudié les moyens de se les procurer, Il devient d’une haute importance de savoir proportionner leur étendue à celle des autres cultures économiques ou industrielles. La question qui se présente à ce sujet est fort complexe ; aussi ne doit-on pas s’attendre à la voir résolue dans un livre avec une rigueur mathématique ; car, pour qu’il en fût ainsi, non seulement il faudrait savoir positivement quelle étendue de pâturage ou de prairies peut suffire à la nourriture d’une tête de bétail, ce qui varie, pour les mêmes espèces, en raison de la différence du climat, de la nature, de la position du sol et de la qualité des plantes fourragères, mais il faudrait aussi indiquer le nombre des bestiaux de chaque sorte que l’on doit élever, engraisser on entretenir, ce qu’il n’est possible de faire, pour chaque localité, qu’après avoir étudié tout le système de culture qu’on a cru devoir y adopter.

Je connais peu de sujets en agriculture qui aient davantage appelé la discussion que la première partie de ce problème multiple, et malheureusement chacun, en voulant le résoudre, n’a pas toujours assez senti qu’il fallait étendre les observations au-delà des étroites limites de telle ou telle contrée, ou éviter de donner aux résultats de ces mêmes observations, quelque précises qu’elles fussent, un caractère de généralité. — Si l’on suppose un sol parfaitement de même nature, exposé ici au soleil et aux étés sans pluies de la Provence, la au ciel nuageux, aux vents humides et aux marées pluvieuses de la France occidentale, on aura, dans le premier cas, une garigue inféconde, où les cistes et la lavande peuvent seuls épanouir leurs fleurs à côté du myrte, et dont l’unique habitante parait être la cigale ; — dans le second, un pâturage vert encore au milieu de la saison des sécheresses et couvert de gras troupeaux. Puis, transportez ce même terrain dans la plaine de Nîmes, ou dans la riche Toscane, à côté de quelques-uns de ces cours d’eau qui répandent sur tout ce qu’ils approchent une fécondité inconnue aux régions du nord, au lieu d’un pâturage, vous verrez une riche prairie tomber et renaître 5 ou 6 fois sous la faulx dans le cours d’une seule saison.

Lorsque l’influence du climat se complique de la variété des terrains et des herbages, la question devient encore plus insoluble ; car il y a tout autant de différence entre un coteau à couche labourable peu épaisse, une lande sablonneuse ou crayeuse et un vallon profond on une terre à luzerne, qu’entre les saisons du nord et du sud de la France ; — entre le produit du petit nombre de plantes qui végètent parfois à grande peine sur les mauvais fonds, et celles bien plus nombreuses qui prospèrent sur les bons ; — enfin, entre les herbages fauchables ou de pâturage dont on abandonne insoucieusement la formation au hasard, et ceux dans lesquels on associe avec discernement les espèces les plus propres à bien garnir le terrain, à croître, à mûrir ensemble, et à procurer aux bestiaux la meilleure nourriture possible.

Dans les calculs que Gilbert a faits avec un soin particulier sur toute l’ancienne généralité de Paris, tandis qu’il ne portait le produit moyen des 138,000 arpens de prairies artificielles qui y existaient de son temps, qu’à 2,500 livres de fourrage sec pour chacun d’eux, il estimait que l’arpent de luzerne en donnait 4,604, — celui de trèfle, 3,561, — celui de sainfoin, 2,946, — et celui de vesces, 2.733. Or, si l’on cherchait à calculer de la même manière la différence des produits des pâturages naturels et artificiels, il est hors de doute que cette différence serait proportionnellement, en faveur des seconds, beaucoup plus tranchée encore.

Ce n’est pas tout : assez ordinairement on range les animaux herbivores, eu égard à la quantité de nourriture qu’il convient de donner à chaque espèce, de la manière suivante : — un cheval, — un bœuf, — une vache, forment chacun une tête à laquelle correspondent 3 têtes de veaux d’un an, ou une tête l/2 d’un veau du 2 ans, ou, selon les races, de 6 a 12 têtes de bêtes ovines ; mais on sent qu’une telle évaluation est encore d’un vague tout aussi grand, car non seulement la plupart des chevaux mangent davantage que les bêtes à cornes, mais le bœuf mange plus que la vache, et, certes, il n’y a pas d’exagération à dire qu’une belle vache normande consomme trois fois autant de fourrage qu’une vache solognote ; tandis que 14 à 15 brebis de la seconde de ces contrées équivalent à peine à la moitié de ces animaux, bien nourris et de belle race, quoique de même espèce, tels qu’on peut les rencontrer dans le Berry.

À côté de toutes ces difficultés, auxquelles ajoute encore la différence de nourriture des bestiaux dans les localités où les racines peuvent être profitablement cultivées et dans celles où le fermier n’a encore d’autres ressources que le foin et les pâturages, on sent combien il est difficile d’arriver à calculer d’une manière seulement approximative l’étendue des divers herbages, d’après les quantités nécessaires de chacun d’eux, pour entretenir une ou plusieurs têtes de bétail, puisque, hors de localités assez restreintes et souvent dans des exploitations tout-à-fait voisines, les animaux, selon la race à laquelle ils appartiennent ou le régime auquel on les soumet, mangent ou beaucoup plus ou beaucoup moins, tandis que les prairies peuvent donner des produits complètement différens.

En terme moyen, Thaer admet qu’un cheval de labour, nourri à l’écurie, demande annuellement, outre l’avoine ou autres grains qu’il suppose lui être donnés en suffisance, 7,500 livres de Berlin de gros fourrage, dont un tiers en foin, soit 2,500 livres, et les deux tiers en paille ; qu’une bonne vache laitière de taille moyenne, ou un bœuf de trait nourri à l’étable, consomme, dans le même espace de temps, en nourriture et en litières, 4,500 liv. de paille