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ni une force de végétation égale, il arrive nécessairement, dans le premier et le second cas, qu’une partie de l’herbe est mûre, tandis que l’autre ne l’est pas, et, par conséquent, qu’il faudra retarder la fauchaison. Il résulte de ce mélange que ce qu’une espèce gagne en maturité, l’autre le perd par trop de maturité ; dès-lors on n’aura que la moitié de la récolte prise à point. Quant à l’inégalité de force dans la végétation, c’est là que réside un abus aussi démontré que les deux premiers. Il est dans l’ordre naturel que le plus fort détruise le plus faible. Une plante a, par exemple, une force de végétation comme 18, tandis que celle de la plante voisine est comme 4 ; il s’ensuit que les graines de ces plantes, semées ensemble, végéteront à peu près également pendant la première année, parce qu’elles trouveront toutes à étendre leurs racines ; mais peu-à-peu la plus active devancera la plus faible, toutes deux en souffriront jusqu’à ce qu’enfin la plus vigoureuse triomphe. Il ne restera plus a cette époque que des plantes vigoureuses, égales en végétation, et dès-lors susceptibles de se tenir toutes en équilibre de vigueur. »

Le fait est généralement vrai. En conclura-t-on que tout mélange soit impossible ou peu fructueux dans les prairies ? Non, certes ; mais seulement que ce mélange doit être fait avec encore plus de soin, et dirigé d’après d’autres principes que pour les pâturages. Et d’abord, quant à l’époque de la maturité, il est rarement difficile de rencontrer des espèces qui se rapprochent assez sous ce rapport, pour n’avoir point à craindre de dommages notables dans la qualité du foin. Le moment de la floraison différât-il un peu, on trouverait encore des herbes qui se conserveraient vertes et succulentes assez long-temps pour attendre les autres, et l’on sait même que, tandis que les unes contiennent plus de parties nutritives lors de l’entier épanouissement des fleurs, d’autres sont plus riches en substance soluble à une époque déjà avancée de la maturation des graines. — Sous le second point de vue, puisque les prairies naturelles ne sont point homogènes, on doit aussi conclure qu’il est possible d’associer des plantes qui vivent et se maintiennent parfaitement ensemble. — Le tout est de les choisir à peu près également rustiques.

Cependant, lorsqu’une herbe de bonne qualité réussit mieux que d’autres sur un terrain qu’elle ne doit occuper que temporairement, il ne faut nullement proscrire tel ou tel semis homogène, même de graminées, et à plus forte raison de légumineuses fauchables, telles, par exemple, que les luzernes, le sainfoin, les trèfles. La durée de ces espèces, leur mode de végétation, l’époque de leur floraison et les terrains qui leur conviennent n’étant pas les mêmes, il serait rarement profitable de les associer ensemble. À cet égard, la pratique a prononcé tout aussi bien que la théorie.

ive sujet. — De la formation des herbages et particulièrement des pâturages.

[18 : 4 : 1]

§ ier. — Manière de se procurer de la graine.

La difficulté d’obtenir les graines des espèces qu’on désire propager en suffisante quantité pour faire immédiatement des semis tant soit peu en grand, est une des causes qui s’opposent le plus fréquemment à la création d’herbages permanens artificiels. — Il y a cependant trois moyens de se procurer ces graines : — 1o de les récolter à la main, sur pied ; — 2o de les récolter dans les greniers ou dans les râteliers ; — 3o de les acheter dans le commerce, ce qui est désormais possible, au moins pour les principales espèces.

Le premier moyen permet de faire un choix rigoureux des meilleures plantes qui croissent dans chaque localité, mais il est accompagné de plusieurs graves inconvéniens. D’abord la récolte est assez coûteuse en elle-même, à cause de la lenteur avec laquelle elle s’effectue, et par suite des dégâts qu’elle occasione dans les prairies, quelques précautions qu’on mette à les traverser à cette époque où toutes les tiges couchées par accident ne se relèveront plus ; d’un autre côté, toutes les graines sont loin d’être mûres au moment de la fenaison, de sorte qu’une première année, il ne faudrait, pour ainsi dire, songer qu’à former une pépinière de porte-graines, dont les produits, récoltés en temps plus convenable les années suivantes, permettraient d’ajouter progressivement à l’étendue des nouveaux herbages. Si l’on calcule la dépense et la perte de temps, on trouvera dans bien des cas que ce moyen est plus cher que le troisième.

Cependant il ne faut pas se dissimuler que l’établissement d’un herbage ne soit rendu parfois beaucoup plus coûteux par la nécessité où l’on se trouve d’acheter toutes les graines. Aussi, pour se soustraire à cette obligation, a-t-on souvent recours au 2e moyen que j’ai indiqué. Avec lui on peut être certain obtenir des semences bien mûres, parce que les autres ne se détachent pas du foin : malheureusement, à côté des bonnes se trouvent les mauvaises qu’il n’est pas possible d’en séparer, et cette circonstance paraîtra toujours des plus fâcheuses à tous ceux qui ont médité sur la composition des pâturages naturels. À la vérité, il en est de si heureusement formés que l’objection perd, quand on les a en vue, une grande partie de sa force. Je serai le premier à conseiller de profiter sans hésitation de leur voisinage, toutes les fois qu’il y aura lieu. Mais j’ai assez fait voir, dans ce qui précède, que ce cas est trop rare ; aussi le mentionnais-je ici plutôt comme une exception que comme une règle d’une application habituelle. Quoiqu’il en soit, quand on croit pouvoir recourir a ce moyen, voici comment on s’y prend, d’après Pictet, dans quelques cantons de la Suisse, pour se procurer la graine en plus grande abondance qu’on ne pourrait le faire par le simple balayage des greniers ou autres lieux où on dépose les foins avant de les donner aux animaux : « On établit un grillage en bois en remplacement de la paroi de planches qui, par son inclinaison, rapproche le fourrage de la base des râteliers placés verticalement, comme ils le sont dans la plupart des écuries et des étables de ce pays ; la base de ces râteliers étant à 15 ou 18 po. du mur ou de la paroi de la grange,