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Les avantages des moyes sont incalculables dans les temps pluvieux, et offrent une solution satisfaisante du problème de la conservation des grains pendant ces saisons désastreuses. Dans le climat humide du nord de la Norwège et de la Suède, on a un autre moyen de paralyser l’influence des pluies. Ce procédé, qui est difficilement applicable à la grande culture, mais qui convient à de petites superficies, consiste à planter dans le sol un fort pieu assez élevé, et traversant le centre d’une gerbe debout sur sa partie inférieure (fig. 414). L’extrémité qui est hors de terre reçoit des gerbes de moyenne grosseur qui sont fixées presque horizontalement, en ayant soin de donner à l’épi une légère inclinaison vers le sol.

Lorsque la paille des céréales est mélangée de plantes étrangères dont le feuillage est encore vert, il est prudent de la laisser exposée quelque temps à l’air, afin de faire sécher ces végétaux qui ne manqueraient pas de l’altérer par leur fermentation si on les amoncelait en grande quantité.

L'engerbage s’exécute de différentes manières suivant les localités et les modes de battage. Ici, le lieur s’aide de la cheville ; ailleurs, on n’en a pas même l’idée, là, on fait des gerbes qui n’ont que 2 pi. de circonférence, tandis que dans d’autres endroits elles sont démesurément lourdes et massives. Celles qui dans tous les cas paraissent bien conditionnées ont 1 pi. et demi de diamètre, ou environ 4 pi. de circonférence. Elles sont proportionnées à la force ordinaire d’un homme, se manient avec facilité et donnent un grand avantage pour équilibrer le chargement.

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§ iv. — De la rentrée des moissons.

Je comparerais volontiers le cultivateur au moment de la moisson, à un général d’armée au moment d’une bataille : il doit être présent partout, se multiplier sur tous les points, avoir des paroles d’encouragement pour l’activité des uns, gourmander la lenteur des autres, payer souvent de sa personne, prévenir le désordre et la confusion. L’œil du maître est indispensable. « Qu’on me permette là-dessus, dit un cultivateur du département de l’Oise, quelques détails qui ne me sont que trop connus. — Le temps presse, on reçoit l’ordre d’atteler et de partir. Si le maître n’y est pas, le charretier attèle lentement ses chevaux, qu’il fait sortir l’un après l’autre de l’écurie ; les chevaux sont prêts à partir, mais le calvanier n’a pas encore préparé les liens : il se passe 10 minutes avant qu’ils soient mouillés et mis dans la voiture. Cependant le charretier sort de la maison, il s’en va pas-à-pas comme s’il n’était pas pressé, parlant à l’un, s’arrêtant pour prendre l’autre dans sa voiture ; enfin, avec le temps il arrive. Les moissonneurs reçoivent du calvanier l’ordre de lier ; mais ils veulent finir leur route, ou mettre la pièce au carré ; en attendant, les calvaniers ou charretiers causent ou se reposent étendus dans le champ. Les moissonneurs se mettent pourtant en train de lier, et les gens les regardent faire ; ce n’est qu’au bout d’un certain temps qu’ils se mettent en devoir de faire un dizeau. Pour les moissonneurs, ils ne s’inquiètent guère si la voiture se charge ; ils continuent à lier, et ce n’est que sur les instances réitérées du charretier qu’ils détachent un d’eux pour mettre les gerbes en dizeaux. Après bien des pourparlers la voiture vient à être chargée ; on la comble avec lenteur ; on se met en marche ; on arrive à la grange. Les calvaniers sont à goûter ; les arrivans les imitent. Ce n’est qu’au bout d’un quart-d’heure que la voiture se décharge, et encore comment ? à peine s’il tombe une gerbe par minute ; il fait chaud, on cause, on s’essuie ; il se passe une heure avant que la voiture soit déchargée ; elle repart enfin, et arrive dans les champs la nuit fermée, ou est surprise par la pluie. — Que l’on compare la lenteur dont je viens de donner les détails, et qui est néanmoins fort ordinaire, avec l’activité que produit la présence du maître. — « Qu’on parte sur-le-champ pour aller chercher le blé. Pierre et Jacques, attelez les chevaux ; Thomas, trempez des liens pour mettre dans la voiture : allez tous trois à la pièce en grande hâte. » La voiture y arrive, mais le maître y est déjà ; les moissonneurs ont quitté leur ouvrage et attendent des liens ; ils lient avec promptitude ; Jacques met les gerbes en dizeaux ; Thomas les donne à Pierre qui les met dans la voiture : en moins d’un quart-d’heure la voiture est chargée et comblée. Elle arrive à la maison, où elle trouve les calvaniers placés pour la décharger ; les gerbes tombent comme la grêle : au bout d’un instant la voiture se trouve vide. La servante apporte à boire aux chargeurs et charretiers qui partent en poste chercher une autre voiture : celle-ci se charge et décharge avec la même promptitude. On fait trois voitures au lieu de deux, et l’on brave ainsi l’incertitude du temps et l’obscurité de la nuit. »

À ces observations si bien senties, je n’en ajouterai plus qu’une, c’est qu’on se trompe beaucoup lorsqu’on croit faire une grande économie en chargeant fortement les voitu-