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grain ; quoique ce tantième varie peu chaque année dans une même localité, quel que soit le prix des céréales, il varie d’une contrée à une autre du 10e au 18e. Bien des personnes trouveront que ce mode de paiement est sujet à beaucoup d’inconvéniens. Le moissonneur perçoit un salaire assez élevé lorsque les céréales atteignent un haut prix ; lors, au contraire, que, par une circonstance quelconque, ces produits ont une faible valeur, la portion qui revient aux moissonneurs se réduit à peu de chose lorsqu’on la convertit en numéraire. Cependant cette disproportion n’a lieu qu’à l’égard du cultivateur ; car il faut toujours à un ouvrier la même quantité de grain pour sa nourriture, que ce grain soit cher ou à vil prix. Ainsi, pour lui, tant que la quantité ne varie pas, la valeur n’a aucune influence sur l’étendue de son salaire.

Quoique les conventions de cette nature deviennent tous les jours moins communes, elles subsistent néanmoins dans toute leur vigueur sur plusieurs points du territoire français, et il serait souvent imprudent de vouloir en imposer d’autres, parce que la main-d’œuvre étant recherchée à l’époque des moissons, on pourrait se trouver subitement sans ouvriers. Un autre genre de convention beaucoup plus commode et plus usité que celui que je viens de mentionner, c’est celui qui consiste à payer les moissonneurs proportionnellement à la superficie sur laquelle ils ont opéré. Dans ce cas, il faut éviter d’avoir à traiter avec un grand nombre de bandes : d’abord, afin de simplifier les frais d’arpentage, et ensuite afin de pouvoir distribuer à chacun, dans une proportion suffisante, les pièces dont le travail sera plus difficile. Il faut encore moins traiter avec une seule bande ; on détruirait ainsi tout genre d’émulation pour la propreté et la perfection du faucillage.

Enfin, on fait moissonner en payant les ouvriers à la journée. C’est assurément le meilleur moyen d’obtenir un ouvrage soigné, et si l’on peut se procurer chez soi assez d’ouvriers, on regrettera rarement un supplément de salaire. Il y a, d’ailleurs, dans cette combinaison, un avantage qui découle de la nature même de la convention. C’est qu’on peut appliquer les ouvriers à tel travail qu’on le jugera à propos. Ainsi, le temps se dispose-t-il a la pluie, un orage se présente-t-il ? on suspend le sciage, pour mettre ce qui est coupé à l’abri des événemens ; tandis que, avec le sciage à la lâche, on ne peut distraire les ouvriers de leur travail pour les occuper à un autre qui n’entre point dans leurs conventions, à moins qu’on n’en ait fait mention expresse, ce qui souffre, de leur part, quelques difficultés.

Il est rare que l’on trouve de l’avantage à faire enjaveler, ou engerber et lier les grains coupés par les moissonneurs. On perd du temps dans les déplacemens inutiles, dans les allées et venues. Il convient d’avoir, pour cette spécialité, un atelier dirigé par un homme habile et actif, bien au fait de cette manœuvre, ayant assez de sagacité pour diriger sa troupe sur un point préférablement à tel autre, et prenant conseil des circonstances plutôt que du hasard.

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§ iii. — Soins à donner aux grains moissonnés, surtout dans les années pluvieuses.

On a, dans ces derniers temps, agité une question qui intéresse au plus haut degré les consommateurs et les producteurs de céréales, celle du javelage. En l’examinant sous un point de vue général, on est frappé d’une sorte de contradiction qui règne entre les partisans des diverses hypothèses qui ont été émises à ce sujet. Ainsi, ceux qui préconisent le blé coupé avant maturité, et qui, par conséquent, doit être javelé, sont ceux qui, précisément, ne veulent pas entendre parler du javelage de l’avoine. Ceux, au contraire, qui pratiquent celui-ci avec le plus d’obstination et d’insistance, coupent leurs fromens lorsqu’ils sont arrivés au dernier degré de maturité ! En ne tenant compte que des circonstances de température, ceux qui laissent javeler l’avoine paraissent agir moins rationnellement que les autres, car c’est ordinairement à l’époque de la moisson des avoines que les pluies commencent à devenir opiniâtres et à s’opposer à la rentrée des récoltes ; il faudrait donc, pour ce grain, profiter du beau temps dès qu’il se présente. Combien de cultivateurs, en 1816, laissèrent pourrir leurs avoines sur la terre sans pouvoir les rentrer, et cela pour s’être obstinés à les laisser javeler ?

En appliquant au javelage les lois de physiologie végétale que nous avons posées précédemment, on voit que la maturation s’achève indépendamment de la végétation ; sous ce rapport, le javelage repose sur un principe vrai ; c’est seulement dans l’application que l’on se trompe. Tout le monde sait que l’orge javelée ne conserve plus cette teinte blonde et pure qui en fait le mérite ; que l’avoine abandonnée aux accidens qui dérangent l’atmosphère, a perdu cet œil luisant qui caractérise un grain bien conditionné ; que souvent une odeur de moisi décèle une conservation vicieuse, et que la couleur terne qui l’accompagne déshonore toujours ce grain aux yeux de l’acheteur. D’où vient donc que le javelage, si utile en théorie, soit si pernicieux dans la pratique ordinaire des cultivateurs ? Je crois en reconnaître la cause dans un agent dont on n’a pas assez cherché à éloigner l’influence, je veux parler de l’humidité. Si on met digérer une semence quelconque dans de l’eau exposée à l’air, il se manifestera bientôt un commencement de végétation qui décèle toujours une modification dans la composition normale du grain ; je ne doute nullement que ce ne soit à cette réaction que l’on doive attribuer la mauvaise qualité des grains javelés.

Il s’agit donc, tout en conservant le javelage, d’éloigner l’humidité, soit qu’elle provienne du sol, soit qu’elle soit produite par les pluies, les rosées, etc.

C’est à quoi l’on parvient facilement au moyen des meulons qu’on nomme aussi moyes ou moyettes.

« Ainsi, dit Yvart, si le javelage, tel que nous venons de l’entendre, est recommandable, et quelquefois même forcé, le javelage, tel