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qu’ils ont acquis le parfum et la saveur qui les distinguent ; pour eux la maturation s’accomplit indépendamment de la végétation ; et ce n’est pas se placer en dehors des probabilités, que de conclure que, dans la plupart des plantes, l’accomplissement de la maturité suit une marche analogue. Dans les plantes annuelles, les seules dont nous ayons à nous occuper ici, la maturité est le plus grand symptôme de mort. Si l’on recherche avec les yeux du physiologiste les phénomènes qui accompagnent cet anéantissement de la vie végétale, on verra que l’on peut admettre deux hypothèses : — la première, et c’est celle qui est la plus plausible, que la vie finit là où elle a commencé, c’est-à-dire aux racines. Or, une fois les racines mortes, elles ne peuvent fournir à la tige des alimens qu’elle puisse s’assimiler ; et, quand même tout le reste de la plante serait vert, l’intus-susception de nouvelles substances est désormais impossible par l’intermédiaire du système radiculaire. — La seconde hypothèse, qui ne réunit plus qu’un petit nombre de partisans, c’est que la mort commence immédiatement au-dessous de l’épi. Il est encore évident qu’ici toute communication entre les semences et les parties vivantes ou herbacées est interrompue. Dans ces deux cas donc, si le grain subit des transformations, elles s’accomplissent indépendamment des autres parties, soit que la plante communique avec le sol, soit qu’elle en ait été séparée. Si on examine au printemps, à l’aide de microscopes, la fécule des tubercules d'Iris de Florence, on verra que le calibre de ces grains ne dépasse pas 1/100 de millimètre ; si on abandonne ces tubercules au contact de l’air, après 15 jours les grains de fécule seront devenus trois fois plus gros. (Raspail, Nouveau système de chimie organique.) Il est donc une époque où la fécule se développe sans que la plante communique avec le sol.

Toutes ces considérations déduites des plus saines théories, seraient encore de peu de poids en faveur de la coupe prématurée des céréales, si la pratique et l’expérience n’en confirmaient les avantages. On a cru cette méthode nouvelle, et plusieurs l’ont rejetée à cause de cette prétendue nouveauté. Cependant il y a bien des siècles que Columelle disait aux agriculteurs de son temps : « Rien de plus pernicieux que le retard : d’abord parce que le grain devient la proie des oiseaux et des autres animaux ; ensuite parce que les semences et les épis eux-mêmes se détachent facilement des chaumes : si des vents impétueux ou des tourbillons leur impriment de violentes secousses, les tiges tombent à terre. C’est pourquoi il ne faut pas attendre, mais commencer la moisson aussitôt que les épis prennent une teinte jaunâtre, et avant que les grains deviennent durs, afin qu’ils grossissent (grandescant) dans la gerbière plutôt que dans le champ : car il est certain que si on moissonne à propos, le grain prend ensuite du développement (incrementum). » (Columelle, p. 99, édition des Deux-Ponts)

Cadet de Vaux assure que le blé récolté avant complète maturité pèse 5 kilog. par hectolitre de plus que l’autre : et si l’on prend trois livres de farine de l’un et de l’autre froment, celle provenant d’un blé récolté prématurément donnera 4 onces de pain en plus. Il est bien certain que le froment récolté bien mûr a la pellicule bien plus épaisse et plus adhérente que l’autre.

Voici en général les avantages que l’on trouve a la coupe prématurée :

1o Tous les fromens mûrissent à peu près à la même époque ; si l’on attend qu’ils soient murs, les derniers coupés laisseront échapper le grain. En commençant le sciage, lorsque les tiges sont encore verdâtres, on évite cette perte ;

2o La paille, moins épuisée, est meilleure pour la nourriture des animaux ;

3o On court moins de chances de voir la récolte détruite ou au moins considérablement diminuée par les accidens de la température ;

4o Le froment coupé prématurément contient moins de son ; Coke prétend, ce semble avec raison, que quand on laisse le blé trop longtemps sur pied, la pellicule s’épaissit aux dépens de la substance nutritive contenue dans le grain ;

5o On n’est pas en danger de perdre les plus beaux grains. Ceux-ci sont toujours ceux qui ont mûri les premiers, et qui les premiers aussi tombent de l’épi.

Nous ne pouvons cependant dissimuler que cette méthode entraîne plusieurs inconvéniens dont les principaux sont les suivans :

1o Si l’on a les plus beaux grains, il y en a aussi qui ne sont pas arrivés à un développement suffisant ;

2o S’il survient des pluies opiniâtres, la récolte se sèche moins facilement : les semences, n’étant pas complètement sèches, sont dans des conditions plus favorables à la germination ;

3o Le grain, dans la plupart des cas, ne peut servir de semence. On cite dans le département du Var la ville de Brignoles, qui récoltait autrefois assez de blé pour fournir à la subsistance de ses habitans, et qui n’en récolte plus assez pour les nourrir pendant six mois depuis que l’on se sert pour semence de fromens récoltés prématurément, quoique la population ne soit pas augmentée.

Le point où il convient de moissonner est celui où le grain n’est déjà plus assez tendre pour s’écraser sous les doigts. C’est là l’opinion des meilleurs agronomes.

Quant aux plantes oléagineuses, il est facile d’apercevoir le moment le plus favorable à la coupe, au moyen de l’inspection de la semence. Toutes les graines tiennent à la plante par un point de leur périphérie nommé hile, et l’organe où se trouve le point d’attache se nomme placenta. Aussitôt qu’il y a solution de continuité entre le placenta et le hile, on peut couper, quel que soit l’état de la plante.

Enfin le degré de maturité est subordonné, dans quelques arts technologiques, à la nature des produits qu’on veut obtenir. Dans l’art de l’amidonnier, par exemple, « la moulure altérant considérablement les grains de fécule, il s’ensuit une grande perte dans l’extraction. D’un autre côté, la chaleur produite par la fermentation fait éclater un assez grand nombre de grains,