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mieux apprécier les uns et les autres, il faut ranger ces sortes de semis en deux classes : — ceux dont les produits, suivant à peu près les mêmes phases dans leur végétation, peuvent être récoltés en même temps ; — et ceux dont quelques-uns des produits doivent prendre leur plus grand accroissement après la récolte des autres.

Pour les mélanges de la première sorte, la très-grande difficulté sera toujours, lorsqu’on visera à la récolte des graines, de trouver des plantes différentes qui puissent mûrir exactement à la même époque ; sous ce point de vue, ceux dont je viens de parler relativement à nos principales céréales, ne sont pas sans inconvénient. À la vérité, il n’est pas impossible de citer quelques végétaux auxquels le même reproche ne puisse s’appliquer, et je dois rappeler à cet égard, comme preuve suffisante, le succès plus qu’ordinaire de la caméline semée avec la moutarde blanche ; mais une pareille coïncidence est bien rare. Lorsqu’on cultive ensemble divers fourrages verts, la même difficulté n’existe plus, et alors je suis tout disposé à admettre que de semblables mélanges soient fort bons : tels sont les ensemencemens simultanés de fèves, de pois, de lentillons ou de vesces ; — de seigle ou d’avoine ; — d’orge et de mélilot ; — de trèfle blanc et de graminées, etc.

Quant aux récoltes successives produit d’un même semis, il est également hors de doute qu’elles peuvent être suivies, en bien des cas, des plus heureux résultats. Dans la Flandre, il est assez ordinaire de semer des carottes dans le lin ; — ailleurs, c’est avec l’œillette ; — aux environs de Coutances on sème souvent le colza et la caméline dans un blé ; — près de Clermont (Oise), on voit également semer avec l’avoine, la navette qui, sans nuire sensiblement à la récolte de cette céréale, n’en donne pas moins elle-même de très-bons produits. — J’aurai occasion plus loin de faire connaître un assolement de la vallée de Niévolle, en Toscane, dans lequel entre, comme fourrage, un mélange de lupin, de lin, de raves et de trèfle incarnat, et dont chaque espèce de plante se trouve consommée successivement, depuis l’automne jusqu’au mois de mai, époque de l’ensemencement du maïs, — Aux environs de Neufchâteau, d’après Yvart, un cultivateur sema simultanément à la fin d’avril du lin, des carottes, des navets, du colza et de la chicorée. Le lin, soutenu par le colza, fut récolté le premier, à la fin de juillet ; — le colza fut coupé quinze jours plus tard ; — les navets furent arrachés en septembre ; — les carottes en octobre ; — et la chicorée fournit un bon pâturage le printemps suivant.

On peut arriver à des résultats analogues en répandant au printemps une seconde semence sur une culture déjà avancée. C’est ainsi que presque partout on sème le trèfle, souvent la luzerne, et quelquefois le sainfoin avec les céréales, et peu de temps après la moisson, pour peu que la saison soit favorable, on peut, sinon obtenir une première coupe, au moins faire pâturer sur place la jeune prairie qui sera en plein rapport l’année ou les années suivantes. Ces mêmes plantes fourragères peuvent aussi être semées avec les lins, le sarrazin, etc.

Dans la campine on répand au printemps sur le seigle un mélange de trèfle, de navets et de carottes, destiné à servir de nourriture d’hiver aux bestiaux. — Près de Lure, dans la Haute-Saône, lorsque le seigle ou l’orge commence à couvrir le terrain, on jette à sa surface des graines de carottes et de navets. Dès que la récolte est achevée, des femmes arrachent le chaume resté sur place, et comme ce travail donne au sol une sorte de labour, les racines se développent de manière à donner avant les gelées une seconde récolte pour les besoins du ménage, la vente ou la nourriture du bétail.

« Nous trouvons, dit Yvart, une pratique qui a le précieux avantage d’économiser les labours, établie dans les plaines de Léry et à Oissel, près de Rouen, pour la culture de la gaude et des haricots : — au mois de juillet, lorsque ces derniers sont en fleur, on leur donne le second binage, et après les avoir rechaussés, on profite d’un temps humide pour semer la gaude dans les intervalles qui les séparent ; on traîne ensuite entre les rangées de haricots un petit faisceau d’épines qui supplée à la herse. Pendant que la gaude lève, les haricots mûrissent, et, lorsque les tiges en sont arrachées, la terre reçoit un houage facile très-profitable à la plante qui les remplace si avantageusement. »

« Nous avons vu également semer avec succès, ajoute le même agronome, des navets dans les chènevières, lors de l’enlèvement du chanvre mâle, et ces plantes éprouvant une opération utile à leur développement lors de l’arrachage des tiges femelles, fournissent, la même année, sans frais de culture, une seconde récolte passable, qui aurait pu devenir une troisième, si le chanvre, qui se sème ordinairement assez tard, avait été précédé d’une production fourrageuse au printemps, comme cela a lieu aussi quelquefois sur des terrains fertiles et bien engraissés. — Le maïs et quelques autres plantes permettent également quelquefois cette double récolte dans leurs intervalles : — enfin, la plupart des plantes, même les graminées cultivées en rayons, peuvent admettre de la même manière un ensemencement destiné à une double récolte, à l’époque où on leur donne le dernier houage. » (Dictionnaire d’agriculture théorique et pratique.)

Les cultures de cette sorte sont le plus souvent très-avantageuses, parce que, sans une grande augmentation de frais de main d’œuvres, elles ajoutent à la somme des produits. Néanmoins il ne faut pas se dissimuler qu’elles ne sont pas toutes sans inconvéniens. Il en est qui épuisent excessivement le sol ; d’autres qui nuisent d’autant plus à la récolte principale que leur développement est plus vigoureux. J’ai vu des lins dont la croissance était sensiblement entravée, arrêtée même sur plusieurs points par la végétation du trèfle. — La principale condition de succès est donc que la plante choisie comme récolte secondaire soit d’une végétation moins rapide que l’autre ; mais il importe aussi que cette dernière ne couvre pas tellement le sol qu’elle en éloigne l’air ambiant et la lumière.