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leurs aux cultures industrielles qui exigent presque toutes des terres richement fumées. — On trouve un débit plus facile des fourrages surabondans et des plantes potagères dont les récoltes, très-productives en pareille position, ne pourraient l’être ailleurs sur une aussi grande échelle. — Dans le Nord, la fabrication de la bière et de l’eau-de-vie de grains ajoute beaucoup à la valeur vénale de l’orge et du seigle. — Près d’un four à chaux ou à plâtre, d’un dépôt de marnes, d’une tourbière dont les cendres s’obtiennent à vil prix, il devient facile d’améliorer la qualité du sol et de varier les assolemens ; tandis qu’en des lieux reculés et privés de ces ressources, toutes choses égales d’ailleurs, il ne reste souvent à spéculer que sur l’élève, l’entretien et l’engraissement des animaux de trait, de lainages et de boucherie. — On conçoit que chaque localité doit avoir, sous ce point de vue, des besoins particuliers et des ressources différentes.

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§ vii. — Influence du manque de bras et de capitaux.

On a pu remarquer qu’en général l’accroissement de la population dans les campagnes a amené tout naturellement des améliorations dans la pratique des assolemens. C’est que partout où il a fallu répartir plus de travail sur un même espace, ce travail a été d’abord mieux fait, plus productif, et qu’on a successivement senti le besoin et reconnu la possibilité de l’étendre sur toutes les parties de la ferme. À mesure que les propriétés se subdivisent en petites exploitations, il ne reste plus de place pour les jachères périodiques ; les cultures fourragères remplacent de toute nécessité les maigres pâturages que les bestiaux cherchaient sur ces dernières, et la production augmente, en proportion de l’industrie du cultivateur, avec impérieux besoin de produire davantage. Tel est, il faut le reconnaître avec joie, l’état nouveau de plusieurs de nos départemens ; cependant il est impossible de ne pas voir qu’en trop de lieux, tandis que les populations ouvrières surabondent dans les grandes villes, les bras manquent encore dans les champs ; leur rareté, et l’absence du matériel propre à les remplacer, est peut-être l’un des plus grands obstacles à l’introduction ou à la propagation, sur une échelle raisonnable, des cultures binées et sarclées, élément on peut dire indispensable des récoltes jachères.

A côté du manque de bras, il faut placer celui des capitaux, qui en est souvent la première cause, et qui s’oppose d’une manière encore plus absolue à un changement subit de système. Ce n’est pas seulement pour payer les frais de main-d’œuvre, assez considérables, qu’exigent les binages, les butages, les sarclages, etc. ; pour acquérir les instrumens perfectionnés dont on ne peut se passer dans une exploitation où l’on a adopté ce genre de culture, que le besoin d’argent se fait sentir ; c’est aussi, et surtout, pour l’acquisition et l’entretien d’un plus grand nombre de bestiaux ; car, s’il est vrai que le principal avantage d’un bon assolement soit de produire en abondance des récoltes destinées à la nourriture des animaux et, selon les localités, à l’engraissement d’un plus ou moins grand nombre d’entre eux, afin de donner les moyens de fumer copieusement les terres et d’augmenter leur fertilité, tout en ajoutant aux récoltes de végétaux les produits souvent plus lucratifs d’un autre règne ; il l’est aussi qu’on ne peut arriver là sans dépenses premières, et que le capital d’une ferme doit être plus élevé lorsqu’on veut la cultiver sans jachère, que lorsqu’on persiste dans l’ancienne routine, ou, en d’autres termes, que les avances doivent être proportionnées aux profits, comme dans toutes les autres branches d’industrie.

Du reste, ces avances ne sont pas toutes de nature à être faites par le fermier. Le propriétaire ne s’aperçoit pas toujours assez qu’il doit y contribuer pour sa part. Les anciennes constructions rurales, par leur exiguïté, sont presque partout fort en arrière des besoins de l’époque actuelle ; non seulement des locataires plus nombreux y seraient fort mal à l’aise, mais ils n’y rencontreraient ni les greniers vastes et aérés indispensables à la conservation de leurs récoltes, de sorte qu’ils se verraient, plus encore qu’aujourd’hui, dans l’obligation de livrer parfois à vil prix les denrées dont ils trouveraient cependant avantage à différer la vente ; — ni les granges qui leur permettraient de reporter une partie des travaux de la récolte au moment où ils pourraient les effectuer sans nuire à leurs autres occupations ; — ni les étables et les bergeries susceptibles de recevoir commodément et sainement les bêtes bovines et ovines que la ferme peut nourrir. Cette dernière circonstance mérite d’être signalée d’autant plus sérieusement que l’excellente coutume de nourrir les bestiaux à l’étable, et de faire parquer le moins possible les troupeaux, commence à se répandre parmi nous. — Je dois renvoyer à ce sujet le lecteur au livre II, et à l’article Bâtimens ruraux du VIe livre de cet ouvrage.

La durée des baux, qui devra aussi nous occuper ailleurs, est un autre point fort important dans la question que je traite. Les améliorations qu’un bon système d’assolement peut apporter au sol ne se font sentir que lentement. Il est juste que le fermier ait le temps d’en profiter ; d’ailleurs, en bornant outre mesure la durée de son bail, on le prive souvent d’une partie des ressources que lui offriraient autrement les cultures industrielles et les plantes fourragères ; on le contraint à ramener trop souvent les mêmes espèces sur les mêmes soles, au détriment de la propriété.

Tout considéré, on s’est donc souvent élevé avec plus de véhémence que de raison contre ce qu’on a cru devoir appeler la routine et l’entêtement des gens de la campagne, et l’on peut juger, d’après ce qui précède, que les améliorations ne sont pas toujours aussi faciles qu’on peut le croire en examinant superficiellement les questions agricoles. Les paysans tiennent certainement beaucoup, souvent beaucoup trop, à leurs anciennes habitudes ; cependant, s’ils prêtent peu l’oreille aux raisonnemens abstraits, ils savent très-bien ouvrir les yeux devant l’exemple