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écopes de bateliers qui serviraient très-bien à l’usage que nous indiquons ; on peut avec un peu d’adresse, au moyen de ces ustensiles, répandre l’eau de 7 à 10 mètres de distance.

Pour arroser un pré, le Cévennois fait un besaou (tranchée ou rigole principale) dans la partie la plus élevée ; il lui donne peu de pente pour que l’eau n’arrive pas trop vite, et, sans connaître le niveau, il la conduit sur tous les points, la fait serpenter de cent manières dans des rigoles toujours pleines, et l’eau ne séjourne nulle part quand il ne veut plus qu’elle coule.

D’autres fois, et selon les localités, le besaou règne dans toute la longueur de la prairie, et des besalieiros (petites rigoles), qu’il ouvre et ferme tour-à-tour, avec une motte de terre, laissent entrer l’eau dans le pré et l’inondent tout-à-fait. C’est de cette manière qu’on arrose ce qui se trouve près du bief d’un moulin.

Lorsque la position de la prairie est tout-à-fait plane, ce qui est rare, des rigoles nombreuses font circuler l’eau dans tous les sens ; elle filtre ainsi dans le terrain si elle ne peut le couvrir.

Fig. 378.

Pour faire toutes ces rigoles, on se sert, dans les hautes Cévennes, d’une sorte de houe (fig. 378) appelée pigasso, fossoir dans les Vosges, qui porte une hache du côté opposé ; le fer est plus mince et plus étroit, et son manche est perpendiculaire, afin qu’il puisse facilement travailler des deux côtés. Avec la hache, on taille dans le pré deux lignes parallèles, à 10 ou 12 centimètres de distance, et avec la houe on enlève en mottes la terre qui les sépare, et on la dépose à côté de la rigole que l’on forme. Ces mottes servent à arrêter l’eau pour changer sa direction ou la faire verser.

J’ai supposé jusqu’à présent une quantité d’eau suffisante recueillie dans des réservoirs ; chacun arrose selon ses moyens, et les coutumes du canton qu’il habite. Ceux qui n’ont pas de source détournent une portion d’un ruisseau, en coupant un ravin, en amènent l’eau, et la distribuent sur leurs terres au moyen de canaux et de rigoles fermées par des vannes ; mais il faut pour cela le consentement ou l’association des voisins et de ceux qui, au-dessous, peuvent profiter de ce ruisseau.

Plusieurs habitans du même hameau s’associent pour l’entretien des prises d’eau ; dans quelques communes, il y a des réglemens entre les propriétaires des divers quartiers, qui fixent les jours où chacun d’eux jouira des eaux pour l’irrigation de ses champs.

Lorsque le terrain est au bord d’un canal ou d’une rivière, et trop élevé pour être arrosé par les eaux courantes, on établit un engin ou machine si simple que la fig. 379) où je la représente, me dispensera de la décrire. J’observerai seulement que les paysans le font eux mêmes et tout en bois. On se sert du même moyen pour puiser l’eau d’un puits peu profond ; il exige moins de force que la poulie, puisque c’est un contre-poids qui monte le seau plein.

Fig. 379.

Le baron d’Hombre Firmas.

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Art. ii. — De l’arrosement dans les Vosges.

La Société d’émulation du département des Vosges et M. M. N. Evon ont tout récemment, publié des détails intéressans sur les irrigations dans ce pays ; nous en citerons quelques pratiques intéressantes. Relativement à la prise d’eau, lorsqu’on ne l’obtient que par un faible filet qui n’arriverait pas au bas de la prairie, on creuse un bassin destiné à conserver l’eau de la source ; on le cimente d’argile et on lui donne une capacité telle, qu’en ouvrant l’écluse qui le ferme, le liquide puisse mouiller instantanément toute la prairie. Ce procédé est usité vers le sommet des montagnes des Vosges. On conduit dans ce même réservoir, au moyen de rigoles, le purin provenant du fumier et des étables, ce qui ajoute à l’action de l’arrosement.

Dans la construction de digues, on apporte une attention particulière à la fondation de la queue, qu’on établit de la manière suivante : on dispose et on fixe au fond du lit de la rivière une couche de longues branches de sapin, dont l’extrémité la plus forte, dirigée en amont, est très-inclinée vers le fond du lit, de manière à faire relever l’extrémité opposée ; en place ensuite en sens contraire une 2e couche de branches, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on juge la queue de la digue assez épaisse pour prévenir les fouilles que, sans cela, la chute de l’eau ferait dans le sol, ce qui entraînerait la destruction de la digue. On construit ensuite cette digne, soit en gros moellons maintenus par des poutres en chêne, soit en fascinage de branches entrelacées, qu’on entasse entre des files de pieux plus ou moins nombreuses, et qui retiennent parfaitement les eaux, lorsque le sable et les graviers, chassés par le courant, sont venus remplir les interstices.

On réserve souvent dans ces digues un pertuis pour le flottage, auquel on donne une