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chap. 9e.
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DES IRRIGATIONS EN GÉNÉRAL.
Art. iii. — Des terrasses et costières.

Dans les Cevennes, les habitans emploient des moyens appropriés pour retenir les terres de leurs montagnes que les pluies entraînent, et pour les défendre contre les ravages des torrens, en les faisant même tourner à leur profit. Ces moyens étant susceptibles de trouver leur application dans d’autres localités, il ne sera pas hors de propos de les faire connaître.

Dans les lieux les plus escarpés, des murs en pierres sèches diminuent les pentes, soutiennent les terres et par conséquent les arbres ; leur hauteur et leur longueur dépendent de la situation des lieux et de la quantité des terres ; l’agriculteur cevennois prend souvent la peine d’en transporter sur son dos pour remplir ses terrasses ; il remonte du bas de la montagne celle que les torrens lui enlèvent.

Dans quelques endroits les murs sont si multipliés, qu’ils forment un amphithéâtre de terrasses horizontales appelées des faissos. Des pierres saillantes forment des escaliers pour aller de l’une à l’autre. C’est là que sont les vignes, les plantations de mûriers, le peu de seigle et les jardins des Cevennois.

Dans les montagnes plantées de châtaigniers, des valats (tranchées) sont creusés de distance en distance pour recevoir les eaux du ciel et les diriger vers les ravins. Après quelques instans de pluie, ces valats, remplis de celle qui tombe dans les intervalles qui les séparent, font couler l’eau, les uns à droite, les autres à gauche, sur les croupes des montagnes, et formeraient dans toutes les gorges des torrens impétueux si le Cevennois ne savait rendre leur cours moins rapide.

Après avoir empêché les eaux de se creuser des sillons profonds en les recevant dans des valats qu’il a soin d’entretenir nettoyés, il les retient par des rascassos (pierrés) dans les ravins où elles déposent la terre qu’elles charrient et forment des étages plans qu’elles arrosent, au lieu de se précipiter du haut de la montagne et de la décharner jusqu’au roc, comme cela arriverait sans ces préparations.

M. le comte Chaptal a décrit dans un excellent mémoire[1] ces digues, et comment on convertit les rochers en terres fertiles dans les Cevennes. J’ajouterai quelques détails à ceux qu’il nous a donnés sur la construction des rascassos. Dans les pays granitiques on y emploie les plus gros blocs qu’on peut rouler ; dans les pays schisteux, on n’a que des pierres plates, mais on sait bien les arranger droites et les enclaver les unes dans les autres. Quels que soient les matériaux qu’on emploie, on appuie toujours les deux extrémités du mur sur les rochers des bords du ravin, et l’on tâche de le fonder aussi sur le roc, ou, lorsque cela n’est pas possible, on place au fond et en avant de larges pierres pour recevoir la cascade et l’empêcher de creuser. On forme des retraites pour briser l’eau dans sa chute ; on fait ces murs en talus, on leur donne beaucoup d’épaisseur et peu de hauteur d’abord, pour les élever à mesure que l’attérissement se forme.— Je dois citer un simple ouvrier à cause de son génie naturel ; en construisant des rascassos, non seulement il les appuyait sur le roc et prenait toutes les précautions que j’ai indiquées, mais il les ceintrait du côté d’amont, dans l’idée qu’elles résisteraient mieux au courant et seraient plus durables que celles faites en ligne droite. Un mathématicien l’aurait démontré, un paysan cevennois l’imagina et l’exécuta.

Le baron L. A. d’Hombres-Firmas.

CHAPITRE IX. — Des arrosemens et irrigations.

Section 1re. — Des irrigations en général.

L’irrigation est l’arrosement en grand, avec une eau de bonne qualité, fait en saison convenable et sur un terrain convenablement disposé.

Précis historique. La pratique des irrigations remonte à l’origine des sociétés ; le livre le plus ancien, le livre des livres, la Bible, source et premier registre des connaissances humaines, attribue à l’irrigation la première cause de la fertilité de l’Egypte. Les anciens souverains de cette heureuse contrée en apprécièrent tellement l’importance, qu’ils employèrent des sommes énormes à la construction d’aquéducs, de réservoirs, pour assurer à leurs peuples les bienfaits de l’arrosage. Les Grecs imitèrent cet exemple, et les Romains, témoins des avantages que les pays soumis à leur domination en retiraient, introduisirent cette merveilleuse pratique en Italie et en Espagne. Cette heureuse importation fut tellement appréciée, qu’avec le temps elle fut considérée comme la plus utile conquête du grand peuple. En France, le Roussillon a très-anciennement connu la pratique des irrigations. Mais ce ne fut qu’après les guerres d’Italie, sous François 1er, que les travaux d’arrosage se multiplièrent dans les provinces méridionales d’abord, puis dans les pays de montagnes. M. Victor Yvart nous a donné, après une excursion qu’il a faite en Auvergne, en 1819, une statistique très-instructive des diverses irrigations en France. Quelque nombreux que soient les travaux d’irrigation des modernes, nous sommes forcés de convenir qu’ils sont loin d’approcher de ce caractère de grandeur et d’utilité générale que présentaient ceux du lac Mœris et du canal d’Alexandrie

  1. Mémoires de la Société centrale d’agric., tome I, page 407.