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chap. 5e.
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desséchement des marais.

Pour conserver à ces pâturages toute l’activité de leur végétation, ils ont soin de tenir les fossés pleins d’eau pendant l’été, afin que la surface intermédiaire reçoive une humidité convenable par l’infiltration et l’ascension capillaire de cette eau. En hiver ils les couvrent d’une forte couche d’eau fertilisante, s’ils en ont à leur portée, d’abord à cause de l’engrais que ces eaux charrient, en second lieu pour que leur poids tasse le gazon et la terre naturellement trop spongieuse de ces pâturages. Ils ont soin de renouveler ces eaux ou du moins de les rafraîchir le plus souvent qu’ils peuvent. Ils obtiennent par tous ces soins des pâturages magnifiques et d’un très-bon produit.

Quand on n’a pas le moyen d’entretenir durant l’été l’humidité nécessaire à la végétation de ces pâturages, et qu’on en est réduit à chercher à tirer parti de ces sols tourbeux complètement desséchés, il faut tâcher d’abord d’amender une couche plus ou moins épaisse de la surface, afin de la rendre propre à la production. L’écobuage poussé jusqu’à la conversion en cendres d’une couche assez considérable du sol, est un des moyens les plus efficaces, surtout si l’on peut ensuite recouvrir la surface brûlée d’une quantité de terre forte capable de donner une certaine consistance à ces cendres. Mais c’est souvent fort difficile et toujours très-dispendieux, à moins que la couche de tourbe soit peu épaisse et qu’on puisse, avec une forte charrue, aller puiser cette bonne terre à la couche inférieure pour la mettre au-dessus. Je ne parle pas du cas où l’on serait placé convenablement pour introduire des eaux troubles, naturelles ou artificielles (warping) ; ce serait sans contredit le procédé le meilleur et le plus économique.

L’avoine est la première céréale qu’on puisse cultiver dans les tourbes amendées ; en général, celle de mars ou d’avril convient mieux que celle d’automne, lors même qu’on n’aurait rien à craindre des inondations ; cette nature de terre étant très-spongieuse, les gelées la soulèvent et arrachent la plante. Un agriculteur praticien (M. Cabail), qui a fait construire une belle ferme sur les marais tourbeux de Bourgoin, dans les environs de la Volpilière, m’a montré de belles avoines qu’il récoltait pour la 15e fois sans interruption sur le même terrain, m’assurant qu’il y mettait fort peu d’engrais, et que chaque année la terre s’amendait par le seul effet de la culture prolongée, et donnait de cette même céréale un produit de plus en plus considérable (jusqu’à 30 pour un). Il cultive aussi avec quelque succès dans ces tourbes, du ray-grass d’Italie, des pommes-de-terre, du chanvre, des betteraves, des haricots, des betteraves et diverses plantes potagères. Dans les terrains environnans de même nature, mais un peu plus améliorés, on sème de la fenasse, du trèfle, de la lupuline, etc. Les simples cultivateurs du village de la Volpilière cultivent dans leurs petits héritages des plantes potagères qui réussissent très-bien et deviennent superbes[1].

Je n’y ai pas vu de sarrasin, quoiqu’on le cultive dans tous les environs. C’est cependant la principale culture des terres de bruyères et des tourbières desséchées de la Frise et de l’Over-Issel ; là, non seulement on emploie son grain aux usages ordinaires, mais on utilise la fleur pour l’alimentation des abeilles. Chaque année, au printemps, les ruches, au sortir des champs de colza où elles sont portées pendant la floraison de cette crucifère, sont placées au milieu des sarrasins d’où elles vont compléter leurs approvisionnemens dans les bruyères en fleur, où on les transporte avant de les rentrer dans leurs quartiers d’hiver.

La préparation qu’on fait subir aux tourbes dans la Hollande pour les mettre en culture, consiste surtout dans l’écobuage ; après quoi l’on sème de la supergule ou du sarrasin, si l’on manque d’engrais, des pommes-de-terre si l’on en a, et quelquefois de l’avoine, du trèfle, etc. ; mais, lorsque le sol est trop tourbeux, on l’abandonne, après une ou deux récoltes, à la végétation des plantes sauvages. On va écobuer un autre morceau, et l’on ne revient au premier qu’après un laps de temps assez considérable.

On connait la fertilité du comtat Venaissin, ses belles cultures, ses magnifiques garancières, etc. Eh bien ! la majeure partie était autrefois marécages, et des sols aujourd’hui d’un produit immense, dont l’hectare s’est vendu pour planter la garance jusqu’à 6,000 francs, ne sont que des terrains tourbeux autrefois, fertilisés peu-à-peu. C’est le cas des environs d’Avignon et d’une bonne partie du territoire de la commune appelée le Tor et de plusieurs autres.

III. Lais et relais de la mer.

Les lais et relais de la mer sont de diverses natures : les dunes et terrains sablonneux qui en dérivent ; les sols d’alluvion des embouchures des fleuves ; les salans, autrement dits salobres ou sansouires ; enfin les tangues ou alluvions boueuses de la mer.

A. Dunes et sols sablonneux qui en dérivent.

Les dunes une fois fixées par les travaux dont il est question à l’article desséchement et à celui des sols sablonneux, il reste à en tirer le meilleur parti possible. Nous n’en voyons d’autre que les plantations en chêne-liège dans les climats qui lui conviennent, en pins et autres arbres résineux dans la plupart des localités. Cependant, quand on est assuré des débouchés, on peut y introduire diverses cultures, même des cultures de jardin ; celle des asperges, par exemple, qui viennent très-bien et sont très-hâtives dans les sables de mer sortis depuis peu du sein de l’eau.

Un objet surtout me paraît mériter de

  1. J’ai cité de préférence les marais de Bourgoin parce que la compagnie qui les a desséchés, faute d’avoir suffisamment connu les moyens de tirer parti des tourbes, a fait d’énormes pertes, tandis qu’elle aurait pu faire des bénéfices convenables. Du reste, elle a fait la fortune de toutes les communes environnantes en les assainissant.