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liv. ier.
AGRICULTURE : OPERATIONS AGRICOLES.

Résultats généraux et vues sur l’exécution des desséchemens.

Nous avons tâché de donner une idée des principaux moyens qui sont employés avec le plus de succès pour le dessèchement des marais ; mais ce que nous devons rappeler ici, comme un des objets les plus dignes des vœux de l’humanité, des méditations de nos publicistes, des efforts de l’émulation particulière, des soins et des encouragemens du gouvernement, c’est l’importance qu’on doit mettre à effectuer progressivement le dessèchement et l’assainissement des 600,000 hectares de marais qui existent encore en France, et qu’on peut considérer généralement comme des foyers d’insalubrité et des causes déplorables de dégénération physique et morale pour les populations limitrophes, tandis qu’elles trouveraient dans leur assainissement de nouvelles ressources pour le travail, de nouveaux moyens de bien-être, et feraient coopérer ainsi à la dignité, à la richesse du pays, les lieux même où la nature ne présente que des préjudices et des dommages affligeans.

Que si dans une si vaste étendue de marais, il s’en trouve, qui, soit par le degré de leur insalubrité, soit par la nature et la difficulté des travaux jugés nécessaires pour les assainir, feraient regretter à l’humanité d’employer à ces travaux l’ouvrier honnête et laborieux, dont elle doit chérir et protéger l’existence ; pourquoi cette même humanité, contrainte ainsi à des réflexions douloureuses, ne les étendrait-elle pas à ce que lui présente de déplorable pour elle le sort actuel des criminels ; pourquoi, dans le désir de le rendre moins affligeant, ne considérerait-elle pas alors ce que réclame d’une part la justice pour leur intimidation et leur punition, et d’autre part, l’ordre social et la religion pour leur amélioration et l’expiation de leurs crimes ? car le concours de ces réflexions devient plus que jamais important dans un pays où les progrès de la civilisation tendent à y supprimer de fait la peine capitale, quand bien même on la laisserait encore subsister dans le Code pénal, puisqu’il est reconnu maintenant que la majorité d’un jury préfère presque toujours proclamer la non-culpabilité, c’est-à-dire l’impunité, qui remet le coupable dans la société, quand une déclaration contraire livrerait le coupable à la mort ; pourquoi, en présence de considérations si puissantes, ne regarderait-on pas comme punition expiatoire pour la conscience même et la réhabilitation du criminel, ainsi que pour l’ordre social, les travaux qu’exigeraient les marais dont il serait trop pénible d’effectuer le dessèchement en n’y employant que des ouvriers dont l’honnêteté et la bonne conduite doivent faire diriger les travaux vers des buts encourageans pour eux, pour leur famille, et propres à conserver à l’Etat une utile et estimable existence[1] ? Huerne de Pommeuse.

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Art. ii. — Travaux particuliers pour le desséchement des terrains inondés.

Il ne s’agit point dans cet article du dessèchement des grands marais, mais seulement des terres cultivées ou cultivables sujettes à être annuellement inondées par la stagnation des eaux pluviales ou des fontes de neige.

L’humidité de la terre est utile, elle est nécessaire à la végétation ; mais sa surabondance est nuisible et pernicieuse à la plupart des plantes, et particulièrement à toute bonne culture. Lorsque l’eau séjourne en hiver dans un champ, la terre y devient stérile le reste de l’année ; souvent on ne peut la labourer en temps convenable ou lorsqu’il le faudrait, et, dans les années pluvieuses, une terre ainsi retardée ne peut plus rien rapporter. Dans les prairies, la stagnation des eaux fait périr les meilleures plantes ; les mauvaises ou les moins précieuses y résistent ; elles s’y multiplient ; elles altèrent, elles détériorent peu-à-peu toute l’étendue de la prairie. Le dessèchement des champs et des prairies est donc également nécessaire. Lorsqu’un dessèchement a lieu sur de grands espaces de pays, l’air en devient plus sain en été et moins froid en hiver ; l’époque des récoltes est plus hâtive et leur succès plus grand et plus assuré. Ces principes posés, je passe à leur application.

Les terrains sont inondés : 1o par la stagnation des eaux pluviales et de celles des fontes de neige ; 2o par des eaux provenant de réservoirs souterrains, dans lesquels elles s’accumulent et d’où elles s’élèvent à la surface par l’effet de leur propre pression ; et 3o parce que les terrains inondés sont plus bas que tout le pays environnant. J’examinerai successivement les moyens employés pour parvenir au dessèchement de ces trois espèces de terrains inondés, et, dans un dernier §, je parlerai des puits perdus ou puisards naturels, de leurs effets en agriculture, et, par suite, du dessèchement au moyen de puisards artificiels, de coulisses ou rigoles souterraines et de sondages.

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§ ier. — Dessèchement des terrains inondés par la stagnation des eaux pluviales ou celle des fontes de neige.

Le dessèchement des terres cultivables sujettes à être inondées par la stagnation des eaux pluviales ou par celles des fontes de neige, s’opère de deux manières : ou par des rigoles, espèces de fossés ouverts, ou par des fossés fermés ou couverts, communément appelés coulisses ou rigoles souterraines. Il ne sera pas ici traité des rigoles dont l’explication se confond avec ce que l’on aura à dire des raies d’écoulement et du billonnage dont il sera question à l’article Labours.

Le dessèchement des terres cultivables par fossés ouverts ayant le grand inconvénient d’interrompre la libre circulation des voitures ou de la charrue, et d’exiger la con-

  1. Voir, pour le moyen d’exécution des mesures convenables et nécessaires, ce qui en est dit à ce sujet dans l’ouvrage sur les Colonies agricoles et leurs avantages, etc., par M. Huerne de Pommeuse, ouvrage que la Société centrale d’agriculture a fait publier à ses frais et que l’Académie française a fait participer au prix fondé par M. de Monthion pour l’ouvrage le plus utile aux moeurs. (In-8o  de 900 pages, chez Mme  Huzard.)